Tribune libre de Thibaut de La Tocnaye, ingénieur centralien, fondateur d’entreprises industrielles et high-tech, membre du bureau national du RN
En préambule, il faut bien évidemment revenir sur les principales faiblesses de l’économie française.
Nous savons, d’un point de vue conjoncturel, que la crise actuelle et inédite du Covid-19 coûtera cher à la France. En perte de PIB mais surtout en termes de destruction de TPE et PME parmi les plus fragiles. Des pertes de parts de marché au niveau mondial sont également attendues. Heureusement, une bonne partie des nations de la planète seront logées à la même enseigne si l’on peut dire.
D’un point de vue structurel, voici le bilan des principaux handicaps à l’origine de la « descente aux enfers » de l’économie française depuis 40 ans :
- une désindustrialisation qui se traduit par le passage d’un PIB industriel de 23% à10% alors que la moyenne européenne est de 20% et que l’Allemagne est à 24% et même la Suisse à 18%, sans parler de la Pologne à 38%, la Tchéquie à 37% et la Hongrie à 28% !...
- une formation professionnelle initiale (apprentissage faible) et continue (gabegie avérée) très déficiente
- une Union Européenne qui entrave, et parfois bloque, une bonne part de notre développement et de toute stratégie économiques essentiellement dans les domaines agricole et agro-alimentaire, énergie et environnement et bien sûr budgétaire, fiscal et monétaire.
- un Etat français dangereusement « non-stratège » qui pourtant ponctionne, plus que tout autre pays européen, nos entreprises en prélèvements obligatoires.
Et pourtant, la France a encore de nombreux atouts. Et c’est probablement le plus grand grief à faire à la classe politique aux affaires depuis plus de 40 ans, à savoir, ne pas comprendre et ne pas saisir les opportunités indéniables qui se présentent à notre nation pour développer ses points forts et lui redonner le rang qu’elle mérite…
- tout d’abord, la France est encore au 7e rang mondial en termes de création de richesse.
- ensuite, et c’est concomitant, elle dispose toujours de très grands champions industriels qui font office d’ensembliers avec des parts de marché significatives au niveau international dans la plupart des filières stratégiques.
- d’autre part, aussi curieux que cela puisse paraître, la ré-industrialisation, via la relocalisation de certaines unités de production, avait débuté en France - timidement mais réellement - dans des secteurs très divers depuis 2017 et surtout 2018 : création nette d’emplois positive dans l’industrie dès 2017 et relocalisation de la fabrication, par exemple, depuis la Chine d’éclairages professionnels à LED… depuis le Maroc de chaussettes pour le sport… depuis la Roumanie de panneaux de volets… depuis la Tchéquie d’emballages plastique… depuis la Pologne de chocolats ou depuis les Philippines d’objets connectés.
- parallèlement, il faut en avoir conscience, les cartes de la croissance sont aujourd’hui en partie rebattues au plan mondial : a) le différentiel de salaire avec la Chine s’estompe de façon exponentiel (- 20% par an) et les frais de logistique internationale augmentent en permanence. b) les besoins des clients ou consommateurs finaux se traduisent par toujours plus d’aspiration à la nouveauté et la personnalisation d’où une réactivité qui est de moins en moins possible pour des unités de production (méga-complexes asiatiques) conçues pour des grandes séries. c) l’exigence de protection de l’environnement devient de plus en plus problématique pour les pays émergents ou même développés mais pollueurs tels que la Chine. d) la gestion de l’après-pétrole en termes de sources d’énergie va contribuer à redistribuer les cartes de la croissance et la France avec le nucléaire, l’hydraulique et son refus du « tout énergie renouvelable » sans discernement n’est pas la plus mal placée.
- enfin, et c’est capital, notre pays est bien positionné dans maintes disciplines « d’innovation de rupture » qui vont peser lourd dans les décennies qui viennent. Citons pêle-mêle : le nucléaire civil et militaire (thermo-fusion, transmutation par laser, missiles hypersonique,…); l’intelligence artificielle (IA) où grâce à l’excellence de son école de mathématiques, la France se situe non loin des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie; la physique quantique avec pour application majeure et un enjeu de souveraineté, l’ordinateur quantique; les neurosciences (3e rang européen derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne) qui pourraient déboucher sur « l’homme augmenté »; la cyber-sécurité où la France a rattrapé son retard (victoire en cyber-défense au Locked Shields en 2019 parmi plus de 30 nations), les nanotechnologies avec un prolongement industriel très stratégique à savoir le franco-italien STMicrolélectronics seul fabricant significatif de semi-conducteurs en Europe et Soitec (produits très innovants tels que l’intelligence artificielle embarquée).
Il reste alors à déterminer le chemin qu’il nous faut emprunter pour renouer avec une certaine excellence économique qui nous fait tant défaut depuis la fin des années 70…
- La Ré-industrialisation devra être amplifiée et ce, de façon irréversible et sans état d’âme. Les filières privilégiées sont le médical (plus personne ne le contestera !), l’agro-alimentaire et l’agriculture, le traitement des déchets et de l’eau, les télécommunications, les systèmes informatiques en tant que secteurs vitaux. Mais d’autres secteurs à réimplanter devront être identifiés et validés par filières en tant que composants-clés stratégiques de tous nos équipements et infrastructures dans les domaines tels que l’électronique, la plasturgie, les matériaux composites, la chimie et la métallurgie. Ceci entraînera la relocalisation ou la création pure et simple de nouvelles chaînes de production. Il faut d’ailleurs noter que certains secteurs tels que le textile, auquel on ne pensait pas a priori, ont démontré leur volonté de relocaliser au moins sur des segments de forte qualité « client » et environnementale (lin, coton bio, chanvre…)
- Ce grand mouvement de ré-industrialisation et de relocalisation sera accompagné et orchestré par un Etat redevenu stratège qui s’appuiera sur des branches professionnelles rénovées et modernisées au pas de course ! En effet, pour remplir leur rôle de vecteur de remontée de l’information du terrain et d’aiguillon du renouveau industriel, elles devront « coller » le plus parfaitement possible à l’ensemble des métiers et professions de tous ordres. La réforme des branches professionnelles engagée très tardivement par Manuel Valls et poursuivie de façon laxiste par Emmanuel Macron devra être finalisée en six mois. Objectif : cent branches professionnelles pour cent sous-filières stratégiques.De plus, la relocalisation s’exercera presqu’exclusivement dans les territoires des zones semi-rurales ou semi-urbaines (les 3 000 communes de densité moyenne de 400 habitants au km2) et rurales (les 31 000 communes de moins de 60 habitants au km2). Car ce sont ces espaces (en dehors des métropoles) qui ont pour vocation à accueillir les PMI et ETI (Entreprises à Taille Intermédiaire). En effet, plus de 80% des PMI existantes y sont situées et plus de 70% des unités de fabrication des ETI y sont également implantées.
- Il est clair que ce grand plan de relance de l’industrie française devra être financé à la hauteur des enjeux. En sus du Plan de 100 milliards annoncé par le Gouvernement pour redémarrer l’économie après l’épidémie, il faut rapidement mettre en place les mesures suivantes :
- multiplication du capital-investissement en matière de création et d’amorçage pour les start-up et développement et transmission pour les PMI et ETI.- levée de fonds significative (beaucoup trop basse en France) pour accompagner l’émergence des licornes (nouvelles entreprises valorisées à plus d’un milliard en bourse).
- accélération du financement de la Recherche pour tous les programmes d’innovation de rupture.
- création de plusieurs Fonds d’Investissement Stratégiques adossés aux Grandes Entreprises (plus de 5 000 salariés) leaders sur leur secteur.
- Un dernier maillon fondamental du grand plan de ré-industrialisation de la France à intégrer dès l’extinction du coronavirus consiste en l’activation d’un certain nombre de grands projets européens de coopération entre Etats-nations. Il s’agit de ces chantiers scientifiques, technologiques et industriels exceptionnels à plusieurs dizaines de milliards d’euros minimum qui nécessitent la mise en commun de savoir-faire académique et de la recherche de toute une communauté scientifique. Ce sont des projets dont les partenariats entre pays sont choisis en fonction de compétences complémentaires. Il est évident que le France aura à cœur de « booster » les grands projets où son excellence est reconnue…Citons le projet ITER, l’élaboration d’un moteur de recherche capable de concurrencer Google ou Baidu, la construction de nouvelles unités de production de semi-conducteurs et surtout de micro-processeurs à taille mondiale, le lancement d’un avion supersonique franco-britannique ou franco-allemand avant que les Chinois ou les Américains n’aient le leur, la recherche sur le vivant, la conquête spatiale.
Pour mettre en œuvre cette immense « entreprise nationale », je ne vois qu’une nouvelle génération de personnel politique et qu’une nouvelle élite issue de la société civile et professionnelle pour, derrière Marine Le Pen, conduire avec succès à une telle mission !