Tribune de Jean-Paul Garraud, Député français au Parlement européen, Président de l'Association professionnelle des magistrats
Ainsi, pour Me Dupond-Moretti, l’improbable ministre de la Justice choisi par M. Macron, qui s’est exprimé ce matin sur Europe 1, le sentiment d’insécurité n’est « qu’un fantasme » : c’est la faute, pêle-mêle, « aux difficultés économiques », « au Covid » (oui, il a osé !), et, bien entendu, éternelle « tarte à la crème », « aux médias »
Pour lui, parler d’ « ensauvagement » de la société, comme le fait son collègue ministre de l’Intérieur qui n’a, d’ailleurs, rien inventé, c’est « développer le sentiment d’insécurité », ce qui, à ses yeux, « est pire que l’insécurité » (sic !) : le problème, pour lui, de toute évidence, ce n’est pas qu’il y ait de l’insécurité, c’est que l’on en parle ; et que, par exemple, devant un fait aussi odieux que le viol et le meurtre d’une jeune fille par un récidiviste, on ait le culot de ne pas se taire, de ne pas se poser des questions sur le fonctionnement de la Justice et sur notre système pénal… : il écrase tout cela de son mépris et balaye d’un revers de main ce qui n’est pour lui que « discours populiste ».
On aura bien compris que, pour le ministre censé être en charge de la Justice, c’est-à-dire de l’application de la loi contre les malfaiteurs, la priorité et l’objectif, ce n’est pas de combattre la violence qui ravage notre pays, c’est de la mettre sous le boisseau, de l’occulter en regardant ailleurs, et, de diriger sa hargne contre ceux qui gâchent son bonheur d’être ministre avec des questions dérangeantes…
On pouvait penser que ce genre de rhétorique qui tenait lieu de pensée à la gauche politique et intellectuelle dans les années 1980 (« il n’y a pas d’insécurité, seulement un sentiment d’insécurité », « c’est la faute au chômage : supprimez le chômage et il n’y aura plus de délinquance » etc.) avait depuis longtemps sombré devant l’implacable évidence des faits (souvenons-nous du piteux aveu de « naïveté » de Lionel Jospin après sa défaite…), et, que personne, en dehors d’une poignée d’irréductibles belles âmes de la Rive gauche, n’était encore capable de tenir un discours aussi « ringard » : on s’est donc trompé, puisqu’il a ainsi encore sa place dans les palais nationaux…
Voilà qui, d’avance, torpille le discours que s’apprête à tenir le Président sur la sécurité, en sapant la crédibilité des postures qui se voudraient sécuritaires qu’il pourrait adopter pour la circonstance, à moins qu’il ne s’agisse, une fois de plus, de faire le grand écart, et de tenir « en même temps », les discours les plus contradictoires…