Tribune libre de Philippe Olivier, Député français au Parlement Européen
La crise n’est pas seulement un défi et un drame, elle est un révélateur. Lorsque des tensions mettent à l’épreuve une structure, ce sont les points de faiblesse qui lâchent les premiers. C’est ce qui est arrivé avec la crise du coronavirus qui a mis sous pression l’Etat, ses échelons de décision, ses rouages et ses organes d’exécution.
Et en trois semaines, comme en 1940, l’Etat semble avoir cédé.
Disparition de l’Etat stratège
L’Etat stratège qui se doit d’être prévoyant et planificateur a montré qu’il ne projetait plus que le souvenir nostalgique du roman national sur le colbertisme.
Des filières industrielles d’importance stratégique et parfois même vitale pour le pays s’étaient volatilisées, laissant la santé des Français à la merci des caprices du marché mondial et de fournisseurs étrangers. En 2020, une puissance comme la France s’est révélée incapable de coudre des masques en tissu, de produire les appareils respiratoires dont elle avait besoin ou de disposer de certains médicaments élémentaires. Aucun « plan pandémie » sérieux n’avait même été anticipé ; enfin, les Français payent cash les politiques d’abandon de l’appareil hospitalier ou même militaire.
Le système de santé français public dans son ensemble -médecine hospitalière et ministère- a montré l’étendue de ses faiblesses : il s’est dévoilé en proie à une épouvantable technocratie aggravée par une guerre fratricide du public/privé comme par de sordides luttes d’influences sur fond de défense de l’intérêt financier de certains laboratoires. Présenté comme « modèle », il s’est révélé en partie sclérosé et déconnecté, au plus grand désarroi des soignants et au plus grand préjudice des malades. L’affaire de la chloroquine, ce médicament visiblement trop bon marché pour être approuvé, a éclairé les Français médusés sur les nauséabondes pratiques de l’univers finalement peu aseptisé de la santé en France.
L’Etat stratège dont la mission est de prévoir sur le long terme les éléments de protection a été, on le voit, absent, inconséquent, imprévoyant.
Une UE absente
L’Union européenne sur laquelle nos Etats se sont reposés, cette instance à laquelle nous avons délégué tant de pouvoirs et de moyens et qui nous est habituellement présentée comme « un échelon de protection » n’a rien préparé. Le choc venu, ce monstre technocratique s’est évaporé, se contentant de puérils tutos sur le lavage de mains, ignorant les drames humains dans les Etats membres et se montrant incapable d’encourager des coopérations européennes. Pire, par la voix de sa présidente, Mme Von der Leyen, la Commission européenne a même dissuadé les Etats membres de dresser, en temps utile, des contrôles sanitaires aux frontières alors que l’OMS avait, avec la plus grande solennité, lancé une alerte internationale dès le 30 janvier. En mars, alors que l’Italie agonisait, la Commission consacrait l’essentiel de son énergie à entériner un processus quasi clandestin d’élargissement au profit de l’Albanie et de la Macédoine et ne tournait son aide directe que vers le Maghreb. Que de temps perdu au prix de combien de morts ?
L’Union Européenne a fait la preuve, à nos dépens, de son inaptitude à protéger les citoyens de ses pays membres.
Faillite de l’Etat gestionnaire
L’Etat gestionnaire n’a guère été plus brillant. Il s’est embourbé au moment où la situation exigeait une rapidité de commandement et d’exécution. « Tout est une question de vitesse » ont clamé en vain les spécialistes.
Les atermoiements d’un Etat visiblement dépassé par les événements n’ont laissé au pays que le choix dans l’urgence d’une stratégie défensive de confinement, certes devenue impérative, mais décrite par l’OMS comme celle de « dernier recours ».
Dès les premiers signes de la menace en janvier, les échelons politiques ont immédiatement failli, incapables de convoquer en temps utile une structure interministérielle de crise, d’anticiper ou même de déterminer pour le pays une stratégie de défense claire, de prévoir la logistique «de guerre » nécessaire. Il a fallu attendre le 25 mars pour entendre le Premier ministre prononcer le mot « stratégie ».
Une stratégie de « dernier recours » faute d’anticipation
Nos politiques, trop imbus d’eux-mêmes, n’ont même pas su simplement se conformer aux instructions formelles de l’OMS qui recommandaient dès le 30 janvier de « tester/isoler/traiter ». Nos services de renseignements et notre diplomatie n’ont pas été capables de déterminer ce qui, en Chine, relevait de la réalité et de la propagande, privant ainsi notre pays d’informations importantes.
L’incapacité du président de la République à communiquer clairement ou même à utiliser certains mots a nourri le sentiment général d’impréparation et d’approximation des décisions politiques et administratives. Dès janvier, les mensonges d’Etat se sont succédé de la part de ministres ou de hauts fonctionnaires pour tenter de camoufler l’impéritie des dirigeants, les carences dont ils étaient responsables, les pénuries généralisées de matériels et d’équipements qui se faisaient jour, l’inconscience dont les uns et les autres s’étaient rendus coupables. Rappelons-nous que le 29 février, le Conseil des ministres consacré au coronavirus était utilisé pour mettre en œuvre le 49.3 sur les retraites. Chez nos gouvernants, l’esprit de politicaillerie comme une arrogante insouciance l’emportaient sur l’esprit de mobilisation et de responsabilité. La parole présidentielle, bravache mais dommageable, fut même utilisée le 7 mars pour inciter les Français à « sortir au théâtre » (sic) au moment même où l’Italie basculait dans un scénario catastrophe et que dès le 25 février, il était apparu que la pandémie avait gagné sur le « containment » et se répandait dans tous les pays.
Un pouvoir se perd dans de petites opérations de propagande
Dans le même temps, les EHPAD qui sont les établissements les plus exposés comme les soignants de première ligne ont été abandonnés à leur sort. Des ordres formels ont été donnés aux policiers de retirer leurs masques. Ces consignes criminelles ont, à juste titre, semé le doute sur la crédibilité du commandement. De son côté, l’armée, instrumentalisée dans de petites opérations de propagande pour illustrer le tonitruant « nous sommes en guerre » présidentiel, n’a pu qu’exhiber, sans gloire, avec l’énergie du dévouement et la conscience du dénuement, la misère de ses équipements.
Que dire des diatribes présidentielles sur le « repli nationaliste », propos inutilement polémiques quand la situation exigeait de la hauteur et de la gravité, marques d’une sereine autorité qui constituent la présidentialité, indispensable en ces circonstances.
Un Etat qui se discrédite chaque jour davantage
Toutes ces attitudes incompréhensibles de la part du pouvoir, ajoutées à un amateurisme de communication désarmant, ont eu pour effet de relativiser la dangerosité de la menace, de ruiner la parole publique, de semer un doute légitime dans la population et tout particulièrement chez tous les professionnels les plus exposés. Très symboliquement, devant l’imbroglio politico-administratif sur la chloroquine, de nombreux hôpitaux et les médecins privés, invoquant le serment d’Hippocrate, ont cru devoir s’affranchir de la tutelle d’un ministère de la santé discrédité et empêtré dans ses guerres de religion mandarinale. Tout cela contribue à sceller le discrédit progressif de l’Etat.
Devant la pénurie de masques et de gel, LVMH s’est mobilisé ; des régions ont tenté de gérer elles-mêmes les approvisionnements de leurs services hospitaliers ou de leur médecine de ville. Des sociétés comme Air Liquide ont pris d’elles-mêmes l’initiative de produire des respirateurs sans même avoir été sollicitées par des autorités portées disparues. Les touchantes initiatives de particuliers ont fleuri. Mais lorsque des acteurs privés ou des collectivités locales sont ainsi contraints de suppléer aux carences de l’Etat pour l’approvisionnement de produits d’urgence, cela signe son affaissement.
L’Etat régalien affaissé
La défaillance de l’Etat s’est propagée à tous les niveaux, y compris concrètement sur les territoires, avec une incapacité à y faire appliquer les consignes sanitaires. En Seine-Saint-Denis, comme dans les nombreux endroits que la République a abandonnés aux mafias depuis des décennies, le ministre Nunez, relayé par les préfets, a dû renoncer ouvertement à y imposer les ordres de confinement. De manière emblématique, les migrants de Calais ont été soumis, par la préfecture, à des consignes de confinement sur « la base du volontariat ». Les prisons ont été vidées par peur des émeutes tout comme les centres de rétention, ajoutant des risques d’atteintes à l’ordre public au risque sanitaire. Autant d’aveux d’une impuissance publique, devenue en ces circonstances dramatiques et porteurs de risques ultérieurs de désordre.
Du déclin à la déchéance ?
L’Etat a péché sur la forme avec une absence de transparence et de confiance. Sur le fond, il a étalé son incapacité à faire face au torrent des évènements. L’Etat, dont le chef n’a manifestement pas la carrure, ne s’est pas montré au niveau qu’on attendait de la prétendue sixième puissance mondiale.
Nous sommes aujourd’hui renvoyés brutalement et cruellement à une dure réalité, celle d’une grande Nation qui constate les effets, espérons-le mobilisateurs, de son déclin et peut-être pire demain, de sa déchéance.
La séquence du coronavirus ne restera pas seulement comme une crise sanitaire. Elle est et reste aussi le révélateur du délabrement de l’Etat stratège et de l’effondrement de l’Etat gestionnaire, au moment où les tigres d’Asie nous ont donné des leçons d’organisation, de discipline et d’efficacité. Il conviendra de nous en souvenir lorsque cette épreuve sera surmontée et qu’il nous faudra reconstruire.