Le Parlement européen a entrepris, dans deux résolutions votées les 21 et 22 novembre 2023, de réclamer un grand nombre de modifications des traités européens en vue de transformer l’Union européenne en un État fédéral supra-national. Si ces modifications devaient voir le jour, la défunte Constitution européenne, tuée dans l’œuf en 2005, serait ressuscitée avec un contenu encore pire que celui qui avait suscité le rejet des peuples français et néerlandais.
La première résolution, celle du 21 novembre, est relative au principe de primauté du droit de l’Union. Son objectif est de briser la résistance des Cours constitutionnelles nationales qui, à l’instar des cours allemande et polonaise, contestent la prétention de ce principe à s’imposer même aux Constitutions nationales. Elle reconnaît certes que le principe de primauté n’est pas « explicitement consacré dans les traités », mais c’est pour ajouter aussitôt qu’il « s’est développé grâce à la jurisprudence de la Cour de justice de l’UE » (considérant D). Pour le Parlement européen, il n’est pas gênant que la CJUE ait, tel un magicien, tiré ce principe de son chapeau par son arrêt Costa du 15 juillet 1964, et pas gênant non plus que la tentative de la Constitution européenne de le consacrer explicitement se soit soldée par un échec retentissant. Il rappelle ainsi solennellement que le principe de primauté s’impose « à toute disposition de droit interne, y compris aux dispositions de nature constitutionnelle » (considérant E), et qu’il « s’applique à tous les organes des États membres » (point n°4), y compris aux Cours constitutionnelles nationales. Fidèle à sa dérive autoritaire, il invite donc la Commission à ouvrir des « procédures en manquement » devant la CJUE contre les États récalcitrants (point n°16), en attendant qu’on réussisse enfin à inscrire le principe de primauté dans les traités « dans le cas où ceux-ci seraient révisés » (point n°24).
En s’en prenant aux seules Cours constitutionnelles nationales, la résolution évacue le problème démocratique fondamental qui consiste à savoir si l’UE est prête à reconnaître une quelconque valeur aux éventuels référendums par lesquels des nations rejetteraient à nouveau, comme en 2005, le principe de primauté. Son silence assourdissant signifie à l’évidence que non : la primauté du droit de l’UE s’affiche ainsi comme une arme de destruction de la souveraineté nationale.
La seconde résolution, celle du 22 novembre, énumère de façon encore plus impressionnante la liste des modifications à apporter aux traités pour transformer l’UE en État fédéral. Trois axes guident cette entreprise audacieuse.
D’abord, le Parlement européen réclame l’abandon du principe d’adoption des décisions à l’unanimité dans tous les domaines où ce principe régit l’activité du Conseil. Il veut en effet lui substituer partout le principe du « vote à la majorité qualifiée » (point n°4), y compris en matière de politique étrangère (point n°21). Les États perdraient ainsi leur droit de veto, pourtant essentiel à la défense de leurs intérêts vitaux, comme le général de Gaulle n’avait pas manqué de le rappeler en 1965 quand il l’avait utilisé pour protéger avec succès les intérêts de la France.
Ensuite, le Parlement européen souhaite étendre les compétences de l’UE dans quasiment tous les domaines, par exemple en matière d’environnement (point n°13), de santé publique (point n°14), d’énergie, d’affaires étrangères, de sécurité extérieure et de défense (point n°15), de « progrès social » (point n°26), d’éducation (point n°27), de « protection contre les discriminations liées aux questions de genre » (point n°30), de protection des minorités nationales (point n°31), et bien sûr aussi d’immigration (point n°36). Certains domaines font même l’objet d’une attention particulière, nécessitant une intégration renforcée, comme le secteur de l’énergie (pourtant géré de façon calamiteuse par l’UE) qui verrait la création d’une « Union européenne de l’énergie intégrée » (point n°33), ou surtout le secteur de la défense, qui serait pris en charge par une « Union de la défense comprenant des unités militaires, sous le commandement opérationnel de l’UE » (point n°22). L’État fédéral européen s’emparerait donc de tout, y compris du droit de mener la guerre, transformant ses États membres en provinces dépouillées de toute souveraineté bien plus que ne le sont les 50 États fédérés américains.
Enfin, le Parlement européen veut remodeler les institutions européennes à son profit, en exigeant d’obtenir le droit d’initiative législative (point n°5), de choisir le président de la Commission (point n°6), et de déterminer sa propre composition (point n°10). Il n’oublie pas non plus de défendre les intérêts de deux organes favorables au fédéralisme : la Commission, qu’il propose de nommer « exécutif européen » (point n°6) et dont il propose de limiter la composition « à 15 membres au maximum » (point n°7) choisis par le président de la Commission (point n°6), brisant la garantie qui permet actuellement à chacun des 27 États membres de désigner son propre commissaire ; et la CJUE, à laquelle il propose d’attribuer un « contrôle préventif » des normes, qui serait « déclenché à la demande d’une minorité du Parlement » (point n°20). Le Conseil, représentant les États membres, est comme on pouvait s’y attendre le grand perdant de ces propositions ; le Parlement européen n’a toutefois pas osé proposer de le transformer en une sorte de Sénat européen, comme certaines de ses résolutions précédentes s’y étaient risquées.
Les peuples européens sont les grands oubliés de cette résolution. Tout au plus un passage demande-t-il « le renforcement des instruments de participation des citoyens au processus décisionnel de l’Union » (point n°12). Mais ce n’est qu’une allusion aux « initiatives citoyennes européennes », c’est-à-dire au mécanisme de pétition qui ne débouche que sur le bon plaisir de la Commission, et aux « conférences » (chères au président Macron) réunissant des « panels » de citoyens triés sur le volet, l’objectif étant de créer des diversions pour tenter de faire passer la disparition des référendums nationaux, et la relégation des nations européennes au profit d’une « société civile » européenne aux ordres des lobbies les moins recommandables.
Ces deux résolutions sont donc une infamie, une trahison des idéaux démocratiques et des souverainetés nationales qui doit être fermement dénoncée. Les membres du Parlement européen qui ont osé voter en leur faveur portent une lourde responsabilité devant l’Histoire.