Si l’histoire ne se répète pas, elle a une furieuse tendance à bégayer.
Les quelques portes de villes médiévales qui, à l’instar de celle de la Craffe à Nancy, ornent encore nos paysages citadins nous rappellent que les péages urbains ne relèvent pas uniquement de la dernière lubie environnementale.
En effet, comme rien ne se perd, rien ne se crée et tout se transforme, c’est forte d’un imparable argument écologique que cette modalité de taxation à l’entrée des métropoles a retrouvé ses lettres de noblesse à travers l’Europe, de Londres, à Stockholm, en passant par Milan.
En France, la loi n°2010-788 avait timidement avancé la possibilité d’une telle tarification - une éventualité à laquelle mon collègue Sébastien Chenu, député de l’Assemblée nationale, s’était courageusement opposé. L’expérimentation du dispositif aura, toutefois, fait chou blanc, au point que le projet de loi de finances pour 2022 l’avait relégué dans la catégorie des « taxes à faible rendement ».
Ce n’était, hélas, que partie remise. En 2021, aux termes de la loi « Climat et Résilience », le législateur jetait, en effet, un nouveau pavé dans la mare, avec les « zones à faibles émissions mobilité » (ou « ZFE »), destinées à endiguer la pollution atmosphérique. Le principe : non pas le paiement d’un droit, mais un tri sur le volet sourcilleux des véhicules dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants, sur le fondement de la vignette Crit’Air. Sous la forme d’un autocollant sur le pare-brise, celle-ci décline, dans des catégories comprises entre 1 et 5, l’âge et le caractère polluant du véhicule concerné.
Au 1er septembre 2022, dix métropoles s’étaient lancées dans une première série de restrictions visant les Crit’Air 4 et 5. Reste qu’en prenant en compte les Crit’Air 3, quelque 17,5 millions de quatre-roues sont en première ligne. Et leurs infortunés propriétaires campent trop souvent, sans surprise, parmi les catégories de revenus les plus faibles. 38 % des foyers les plus modestes posséderaient un véhicule classé Crit’Air 4 ou 5, contre 10 % pour les classes sociales les plus aisées.
Et malgré certaines aides, « le reste à charge moyen des ménages bénéficiant du bonus écologique ou d’une prime à la conversion demeurait supérieur à 20 000 euros et atteignait jusqu’à 40 500 euros en moyenne pour l’achat d’un véhicule hybride rechargeable neuf après bonus écologique », au premier semestre 2022, selon un rapport des députés Gérard Leseul et Bruno Millienne. On s’en doute, cette fracture sociale se double d’un clivage territorial, la ruralité se retrouvant, encore une fois, aux premières loges.
À Strasbourg, malgré un maquis d’exemptions, la potion est amère. « En théorie, 12 000 salariés ne peuvent plus se rendre au travail depuis le 1er janvier » estime, ainsi, le président de Medef Alsace. Et une adjointe au maire de Strasbourg de reconnaître qu’il n’y aura pas « de solutions de transport en commun performantes pour tout le monde », notamment pour les salariés en horaires décalés. Perdantes également, les petites entreprises, prises à la gorge par le renouvellement de leur parc automobile.[1]
Si un décret du 23 décembre prétend assouplir ce carcan, je salue la proposition du Rassemblement National à l’Assemblée nationale, en faveur de la suppression pure et simple d’un dispositif inique.
Véritables zones d’exclusion, les ZFE s’ajoutent au chapelet de brimades qui s'abat sur les classes populaires et moyennes depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron.
Leur abolition est un impératif de justice sociale !
[1] « À Strasbourg, un catalogue de dérogations et un recours menacent déjà la ZFE », La Tribune, 11 janvier 2023.