C’est officiel : en 2022, la France s’est hissée, selon l’OCDE, au quatrième rang de l’aide publique au développement mondiale. Et d’aucuns de s’extasier que Paris supplante Londres, qui a sagement choisi de réduire la voilure à l’issue du Brexit.
Ne jouons pas les esprits chagrins : certaines orientations récentes en la matière sont indiscutablement frappées au coin du bon sens. Je pense à la concentration des moyens financiers sur l’Afrique subsaharienne. Rappelons que la Chine,[1] notamment, comptait parmi les heureux bénéficiaires de la coopération française au développement, ce que j’avais eu beau jeu de souligner.
Ce choix avisé de Paris tombe d’autant plus à pic dans une Afrique subsaharienne éclipsée par la crise ukrainienne. En 2022, l’aide publique internationale à la région a connu une réduction substantielle de 7,8 %. Une double peine en quelque sorte, au regard de l’exacerbation de la crise alimentaire, puisque l’Afrique est particulièrement dépendante du blé russe et ukrainien. On passe sur le trafic des armes en provenance de la zone de conflit avec la Russie et qui pourrait alimenter les groupes terroristes islamistes, notamment au Sahel.
Mais le renflouement du portefeuille de l’Agence française de développement invite à s’interroger sur la pertinence de ces subsides. L’aide est aujourd’hui largement devancée par les transferts de fonds directs des émigrés ou des diasporas, qui pourraient être mis à profit plus judicieusement.
Par ailleurs, la modique somme de 88,6 milliards de dollars quitterait l’Afrique chaque année sous forme de flux financiers illicites (2020). Et l’ex-secrétaire exécutif de l’agence de planification du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique de reconnaître sans fard, dans les colonnes du Monde, qu’un désengagement des donateurs pourrait « contraindre les pays les plus vulnérables à davantage mobiliser leurs ressources domestiques, ce qu’ils font jusqu’à présent très peu ». Tiens donc ! En clair, l’aide occidentale a trop souvent fait office d’expédient, permettant d’escamoter des réformes impérieuses en matière de finances publiques, par exemple...
Reste l’épineuse question du retour sur investissement. Certains pays, comme le Japon, favorisent sans fausse honte leurs entreprises dans les projets qu’ils financent à l’étranger. L’Union européenne et la France semblent, quant à elles, arc-boutées sur un dogme de concurrence libre et non faussée, au point de parfois soutenir des marchés attribués notamment à des sociétés chinoises. Une aberration, sur laquelle le président de la Banque européenne d’investissement avait levé le lièvre, et qui serait plus que jamais d’actualité sous la férule du nouveau directeur général de l’Agence française de développement.
Certes, l’aide « liée », c’est-à-dire assortie de conditions afférentes au recours à des sociétés nationales du donateur, est fréquemment décriée. Mais ce débat devrait aboutir à une forme de compromis raisonnable. Car l’essence du partenariat égal à égal, vanté par Emmanuel Macron en Afrique, ne tient-elle pas précisément à un juste retour des choses ? L’octroi de nos largesses n’en serait que mieux accepté par les Français, a fortiori en période de vaches maigres.
[1] « Depuis le début de l'année 2022, la France a pris la décision de ne plus comptabiliser ses interventions en Chine comme de l'aide publique au développement. » https://www.senat.fr/rap/l22-115-34/l22-115-342.html#toc26