Cher Monsieur,
Dans votre récent éditorial intitulé "les yeux ouverts" vous avez, d'un ton sans appel, digne de votre chronique télévisuelle "vrai/faux", asséné une opinion - la vôtre- qui a heurté de plein fouet les soignants qui, jour après jour, accompagnent les dernières heures de leurs patients.
"..Enfin le corps médical, même s'il ne s'en rend pas compte, refuse le suicide assisté parce qu'il veut garder le droit de vie et de mort, symbole de sa domination dans notre temps scientiste. Pas question pour ces impérieux docteurs d'aider un patient à appliquer sa propre décision, car les malades sont là pour être soignés et non pour choisir leur sort..." avez-vous écrit. Quel ton impérieux selon vos propres mots, pour un procès en intention surréaliste !!!
Alors "faux", M. BARBIER, ces instants d'accompagnement médical au moment où la vie s'échappe littéralement de manière inéluctable, ne sont en rien des moments de puissance médicale : bien au contraire, il s'agit du pire moment d'impuissance de notre mission. Alors "faux", les médecins ne sont en rien maîtres de la durée de la vie : ils en sont les meilleurs soutiens, de la conception à la dernière seconde, c'est l'essence même de leur métier et de leur serment. Ils sont aussi des garants de la bonne qualité humaine, médicale et scientifique de cet accompagnement singulier, tout particulièrement dans la douleur.
Car vous faites la même confusion que les tenants de l'euthanasie, derrière lesquels se cachent, sans qu'ils en aient conscience, des économistes de la retraite pour qui un bon retraité est forcément quelqu'un qui ne coûte plus rien, puisque décédé...Vous confondez douleur du patient, de sa famille et nécessité d'abréger la vie bien avant l'heure. Avez-vous, plusieurs fois par semaine, entendu ces patients souffrant à plus d'un titre dire "docteur, faites quelque chose" avec la bouche et dire "donnez moi encore un peu de vie" avec les yeux?
Vous faites la confusion entre un temps de vie de mauvaise qualité, envahi par une maladie sévère et douloureuse, mais pendant lequel la vie s'accroche spontanément, et les dernières heures, presque toujours prévisibles, où la vie s'enfuit et n'est retenue, très temporairement, que par ce qu'il est convenu d'appeler de l'acharnement thérapeutique. Ce tableau, les soignants le connaissent bien. Ils savent presque toujours agir. Avec cette remarque que l'accompagnement des familles pourrait être encore amélioré, pour éviter une souffrance supplémentaire.
Car la loi Léonetti, conçue pour une seule chose, permettre aux soignants d'utiliser des médications sédatives de la douleur et parfois de la vigilance, sans être poursuivis pour leur risque de dépression respiratoire irréversible, est parfaitement suffisante, adaptée et surtout partageable par toutes les équipes médicales. Elle ne doit pas imposer, par une requalification législative surprenante, aux médecins de commettre un "suicide par procuration", dont les patients ne veulent pas vraiment puisqu'ils ne le font pas eux- mêmes, (dans nos campagnes les suicides sont toujours réussis...) ou à pratiquer une interruption prématurée de la vie avec préméditation, acte qui à lui seul justifie l'existence des assises, et que les familles et les référents redoutent.
Aller plus loin avec le "suicide médicalement assisté" revient à nier le socle même du serment d'Hippocrate. Elle ouvre, bien sûr la porte à des procès prévisibles pour "assistanat trop tardif" de la part d'héritiers impatients, reproches très courants en maison de retraite.
La France a toujours respecté le secret de famille et le secret de la confession, qui masquent parfois des gestes d'amour que la loi sanctionne. Laissons les choses en l'état législatif.
En vous souhaitant, particulièrement en ces temps de Noël, de ne jamais être confronté à ces difficiles situations, je vous prie de croire, Cher Monsieur, à l'expression de mes salutations médicalement dévouées.
Docteur Joëlle MELIN
Eurodéputée
Conseillère politique de Marine LE PEN en matière de santé et protection sociale