Le coup d'état des juges !

Hervé de Lépinau

Tribune libre

16 juillet 2018

Tribune libre d'Hervé de Lépinau, avocat, membre du Conseil National du RN, Conseiller départemental de Vaucluse et Conseiller municipal de Carpentras

« Ils s'appellent Eva Joly, Renaud Van Ruymbeke, Philippe Courroye, Eric Halphen ... Juges d'instruction à Paris, Rennes ou Lyon, ils n'hésitent pas à affronter les grands de ce monde, à mettre en prison des patrons d'entreprise publique, des ministres ou des maires. Il n'y a pas un jour où la presse ne les cite. Et pourtant. Au nom de la loi, les juges ne contournent-ils pas la loi ? Au nom du droit, ne donnent-ils pas de confuses leçons de morales ? Et quel rôle complice joue donc la presse ? Des Affaires aux simples affaires, de la corruption à la gestion, le juge saute vite le pas. On a même vu un préfet de 80 ans mis en examen parce qu'il n'avait pas prévu, en 1965, les inondations de Vaison-La-Romaine ! Éric Zemmour a entrepris une enquête fondée sur l'idée que les juges nous préparent un avenir où la démocratie sera remplacée par l'éthique et le suffrage universel par le droit. De l'intimidation menottes aux mains à la libre interprétation des lois, on assiste à toutes les dérives ... A quand le coup d'état des juges ? » C’est en ces termes que les Editions GRASSET présentaient en janvier 1997 le livre de l’essayiste, Eric Zemmour.

20 ans sont passés. Le sujet reste d’une actualité brulante et l’analyse du polémiste prémonitoire. L’ordonnance de saisie pénale de créance des juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke (encore lui !) et Claire Thépaut prise au préjudice du Rassemblement National en juin dernier est une nouvelle démonstration de force d’une certaine magistrature. Une magistrature idéologisée, convaincue d’être investie d’une mission immanente qui l’exonèrerait de son devoir d’impartialité et l’éloignerait de cette noble mission attachée au service public de la justice, laquelle constitue le quotidien de cette majorité de juges qui ont fait le choix d’exercer leurs fonctions avec modestie, sans éclat, dans le souci de l’intérêt général. Car n’en déplaise aux colleurs d’étiquettes patentés, il existe des juges impartiaux, honnêtes intellectuellement, privilégiant la Loi à l’idéologie : j’en ai croisé bon nombre en 23 ans de barre.

Le juge d’instruction, même s’il a perdu le pouvoir de faire embastiller ceux qui passent entre ses fourches caudines (cette prérogative appartenant à présent au juge de la liberté et de la détention), reste détenteur d’un arsenal procédural dérogatoire du droit commun, garant de son indépendance. Et comme le relevait Montesquieu dans De l’esprit des lois : « Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser jusqu'à ce qu'il trouve des limites ».

En pratiquant cette saisie de deux millions d’euros d’aide publique prévue par la Loi et proportionnelle au nombre de voix obtenues par le parti en cause aux législatives de 2017, ces magistrats ont délibérément organisé la mise à mort du Rassemblement National par asphyxie financière. Ceux-ci objecteront que cette mesure conservatoire serait destinée à garantir le paiement d’éventuels dommages et intérêts au profit du Parlement européen plaignant, ou encore à assurer le règlement des amendes qui pourraient être prononcées par le tribunal correctionnel qui sera saisi à l’issue de l’information judiciaire, sauf non-lieu.

L’intention semble adaptée de prime abord à la nature du dossier (abus de confiance et recel). Mais sa mise en œuvre caractérise à l’évidence un détournement de procédure constitutif d’un abus de pouvoir. En effet, une mesure de saisie conservatoire fondée sur l’article 131-21 alinéa 9 du code pénal suppose que les fonds appréhendés soient en relation avec la commission de l’infraction poursuivie, mais encore que ceux-ci encourent la confiscation dans le cadre d’un jugement.

En premier lieu, il n’est pas contestable que la subvention versée par l’Etat au titre du financement public des partis politiques ne peut recevoir la qualification de « créance » comme elle ne peut davantage être considérée comme étant en relation avec l’affaire dite des attachés parlementaires des députés européens. En termes juridiques, il n’existe pas de lien de causalité entre le versement de cette subvention et les faits poursuivis, ce qui est essentiel pour contester la saisie.

De plus, la confiscation, au sens du code pénal, est une peine complémentaire (donc une sanction) qui n’a en aucune façon pour finalité de garantir l’indemnisation des victimes supposées ou encore le paiement des amendes. Ces objectifs sont garantis par l’article 706-45 du code de procédure pénale

relatif au placement sous contrôle judiciaire des personnes morales mises en examen, en les soumettant aux obligations suivantes :

* 1° Dépôt d’un cautionnement dont le montant et les délais de versement, en une ou plusieurs fois, sont fixés par le juge d’instruction ;

* 2° Constitution, dans un délai, pour une période et un montant déterminés par le juge d’instruction, des sûretés personnelles ou réelles destinées à garantir les droits des victimes.

En ne plaçant pas le Rassemblement National sous contrôle judiciaire, les juges en charge du dossier se seraient donc abstenus d’user de ces mesures conservatoires ouvrant la possibilité pour le parti politique mis en cause de bénéficier d’un calendrier de versements susceptible de tenir compte de ses capacités contributives, lesquelles dépendent largement du financement public. En pratiquant cette saisie irrégulière, le Parquet et les juges d’instruction ont commis un assassinat politique puisque l’ordonnance porte sur un montant équivalent à la totalité du préjudice estimé, sans possibilité d’échelonnement, en sachant que l’appel contre la décision n’est pas suspensif !

S’agissant d’un parti mis en examen (et quel parti !), il est certain que ce dossier a été « signalé » au Ministre de la Justice lorsque le Parquet a reçu la plainte du Parlement européen. Partant, le pouvoir exécutif est en mesure d’orienter la procédure par le biais d’instructions données au Ministère Public titulaire de l’opportunité des poursuites. Et c’est à ce niveau que le contenu éminemment politique de cette procédure ressurgit puisque la mesure de saisie critiquée a été prise, conformément à l’article 706-153 du code de procédure pénale, sur requête du procureur de la République. Dans ces conditions, Madame Belloubet, Garde des Sceaux va-t-elle donner l’impression, comme à son habitude, de tomber de l’armoire en affirmant qu’elle n’était au courant de rien ? A cet instant revient en mémoire cette attaque portée lors du meeting marseillais du 1er avril 2017 par le candidat Macron contre le Rassemblement National qu’il considère comme son « premier opposant », appelant ses soutiens à le chasser « loin de cette campagne, loin du pays ».

La menace semble à l’évidence mise à exécution au moyen d’une instrumentalisation de la justice facilitée par la vindicte idéologique de certains juges, au préjudice d’un parti politique fort de ses millions de suffrages. Cette affaire est d’une particulière gravité puisqu’elle porte directement atteinte à l’article 4 de la Constitution française de 1958, lequel énonce que « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. » Et de poursuivre : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. »

Le Rassemblement National sera en état de cessation des paiements à la fin du mois d’août s’il ne perçoit pas cette subvention. Le Parquet Général près la cour d’appel de Paris est à présent maître du calendrier pour fixer l’audience à laquelle cette ordonnance scélérate sera évoquée devant la chambre de l’instruction qui statuera sur le bien-fondé de la décision : le devenir du premier parti d’opposition dépend à présent de son bon vouloir.

Le coup d’Etat des juges est imminent, comme l’avènement du parti unique : fasse le ciel que Montesquieu soit davantage entendu que Machiavel.

Hervé de Lépinau

Tribune libre

16 juillet 2018

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