La disparition des souverainetés nationales, une réponse au Covid-19 ? Quelques réflexions sur la tribune de Guy Verhofstadt

Mathilde Androuët

Tribune libre

30 mars 2020

Tribune de Mathilde Androuët, député européen, conseillère régionale

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, il se trouvait encore des communistes pour nous expliquer que si l'Union soviétique échouait à assurer la prospérité et la liberté des peuples qu'elle maintenait sous sa poigne de fer, c'était parce que la doctrine communiste n'y était pas encore appliquée dans toute sa pureté et sa rigueur.  C'est un aveuglement similaire que l'on rencontre chez les européistes les plus fanatiques. Ils affirment doctement qu'une Union européenne acceptant enfin la logique fédéraliste qui aurait été celle de ses « pères fondateurs », saurait faire demain ce que la commission, n'a pas su, pu, ou voulu faire hier pour notre bien à tous.

En ce mois de mars ou certains ont célébré le soixante-troisième anniversaire du traité de Rome, c'est aussi en substance ce que nous explique le député belge Guy Verhofstadt. Ex-président du groupe libéral (ALDE), il a aujourd'hui intégré comme les élus macronistes le groupe Renew. Dans une longue lettre-tribune adressée le 25 mars à ses collègues du Parlement européen, M. Verhofstadt s'empare de la crise du covid-19 pour asséner sa propagande fédéraliste.

Il a certes raison de souligner en préambule que la Corée du Sud a su, aussi bien et même mieux que le géant chinois à parti unique, juguler l'épidémie de Covid-19. Une preuve que les démocraties ne sont pas condamnées à l'indécision.  Elles ne sont pas forcément moins performantes que les régimes autoritaires quand il s'agit de prendre des décisions rapides et efficaces pour contrecarrer un péril. Encore faut-il leur en laisser la possibilité et qu'elles se donnent des dirigeants lucides. Gouverner, c'est prévoir...

M. Verhofstadt explique « l’explosion spectaculaire du COVID-19 en Europe » par le fait que « les pays européens n’ont pas réagi de façon substantielle », « ont commencé leurs mesures de précaution beaucoup trop tard (...) », par « un manque d’institutions adéquates et, même, à une bonne gouvernance au sein de l’Union européenne. Alors que nous savons tous que les décisions devraient être prises de façon centralisée en suivant une ligne de commandement pendant une pandémie (...) ce que nous avons vu en Europe au cours des huit dernières semaines, c’est exactement le contraire : 27 centres de décision, 27 lignes de commandement. »

« La coopération intergouvernementale est bonne et nécessaire » concède-t-il, « mais elle est absolument insuffisante pour faire face à une crise pandémique de l’ampleur que nous connaissons aujourd’hui (...) nous avons besoin du pouvoir discrétionnaire d’un exécutif européen pleinement compétent. Un exécutif qui, sous le contrôle démocratique (sic) du Conseil (États membres) et du Parlement (citoyens), peut agir pleinement sur le terrain. »

« Une crise n’est pas toujours négative. Elle contient aussi parfois des occasions » affirme-t-il encore et cette épidémie « est une occasion unique de réformer fondamentalement notre Union (...). Nous devons simplement mettre en place les grandes idées de nos pères fondateurs, qui ont lancé le processus d’unification européenne à la suite de cette autre grande tragédie européenne, la Seconde Guerre mondiale. Selon eux, l’Europe a désespérément besoin de nouvelles institutions fédérales et transparentes, et les crises successives ont clairement montré qu’elles avaient raison de le penser. » « Malheureusement », conclut-il, « les générations qui ont suivi n’ont pas réussi à le faire, aussi aveuglées qu’elles l’étaient, et nous sommes toujours sous le faux attrait de la souveraineté nationale dans un monde entièrement globalisé. »

Le principe bien évidemment louable d'une meilleure coopération entre Etats souverains est donc évacué ici au profit d’une vision mondialiste. La boucle est bouclée.  Guy Verhofstadt utilise cette crise dramatique pour nous redire qu'il faut choisir entre « le repli identitaire ou  les États-Unis d’Europe.» Dans cette même logique de fuite en avant, M. Verhofstadt, alors désigné pour représenter le Parlement dans les négociations du Brexit, proposait déjà en mars 2017 de renégocier les traités. Il militait pour la mise en place d'un véritable Etat européen centralisé, dont le gouvernement serait la Commission, et voulait en finir définitivement avec la souveraineté des États : économie, budget, armée, police, justice, tout y passait …

Or, chacun a pu le constater, c'est bien par idéologie que les caciques de l'UE ont refusé de prime abord la fermeture des frontières. Un mot honni et détesté par les libéraux qui nous gouvernent, tel un Emmanuel Macron qui en pleine crise des migrants scandait qu'il ne fallait pas « reconstruire des murs dans une Europe qui en a trop souffert ». Un principe de précaution pourtant, comme le demandait dès le mois de janvier Marine le Pen, qui, à défaut peut-être d'arrêter totalement le virus aux portes de l'Europe, aurait freiné sa propagation dans nos pays respectifs et donc évité la saturation dramatique de nos hôpitaux, la vague de décès que nous connaissons.

Quant à la Corée du sud dont l'exemple est évoqué par le député libéral, elle illustre aussi l'excellence de la réaction d'un Etat souverain moderne qui, comme Taïwan ou le Japon, et sans avoir aucunement délégué le moindre pan de sa souveraineté à une quelconque « union asiatique », a su réagir parfaitement à cette épidémie. Et ce, grâce à des moyens que dans notre pays notamment, nous n'avons pas pu utiliser, à savoir, outre le confinement rapide, la généralisation massive des tests tout en s'appuyant sur un service hospitalier bien équipé et de qualité. En France, malgré le dévouement, le courage et les grandes compétences de nos personnels de santé, notre hôpital public a été ces dernières décennies méthodiquement paupérisé, en grande partie sur injonction des « grands argentiers » de Bruxelles.

La question essentielle, encore une fois, est celle de la confiance que nous pouvons accorder aux recettes des européistes pour assurer notre sécurité, notre prospérité, nos libertés, eux qui ont tant failli, tant menti, tant méprisé les aspirations populaires. M.  Verhofstadt lui-même, qui nous indique le chemin vers un avenir radieux bâti sur les décombres des nations, donne aujourd'hui des leçons de démocratie aux Hongrois ou au Polonais. C'est pourtant le même homme qui, lorsqu’il était Premier ministre de la Belgique avait fait, de facto, interdire par persécution judiciaire le principal parti d’opposition flamand, le Vlaams Blok (devenu aujourd’hui le Vlaams Belang ).

M. Verhofstadt se croit moderne, dans le sens de l'histoire. C'est en réalité comme ses amis politiques, parfois plus prudents ou dissimulateurs dans l'exposé de leurs convictions et objectifs, un homme du passé, défendant un projet totalement incapable de répondre aux défis du XXIème siècle. Les ultras de l'européisme ne veulent pas voir que nous sommes entrés dans l'ère du grand retour sur la scène mondiale des souverainetés et des identités nationales et non de leurs disparitions. Ils sont l'illustration de ce que Pierre Manent décrivait dans « Les métamorphoses de la cité » sur « l’opinion gouvernante européenne ». « Leur dogme est le suivant : il n’y a que deux réalités respectables, l’individu et l’humanité. Toutes les réalités intermédiaires, c’est-à-dire toutes les associations et communautés dans lesquelles les hommes vivent effectivement, et d’abord les nations, sont dépourvues de légitimité propre. Elles sont donc essentiellement suspectes. Les nations n’ont en tout cas aucun droit à réclamer l’obéissance, ou seulement l’amitié de leurs membres. Elles sont destinées à disparaître avec les frontières, qui sont un attentat permanent contre l’unité humaine. Bien entendu, on ne peut rien fonder sur une telle doctrine. »

Nous le savons et ils le savent aussi : depuis le rejet du traité de Lisbonne par une majorité d'Européens, la rupture est consommée. La confiance cela ne se décrète pas, cela se ressent et cela se vérifie dans les faits.  On a ou on n'a pas confiance.  Les Français, comme les Européens, n'ont plus confiance en eux.

 

 

 

 

 

 

Mathilde Androuët

Tribune libre

30 mars 2020

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