Expériences sur les animaux : l’exemple italien

Annika Bruna

Tribune libre

19 octobre 2021

Tribune de Mme Annika Bruna

Député français au Parlement européen, membre de la commission d’enquête sur le transport des animaux

 

Alors que le Parlement européen a voté en septembre une résolution visant à accélérer les innovations sans tests sur les animaux, il est utile de rappeler que la directive européenne 2010/63/UE[1], qui porte sur ces tests, est interprétée et appliquée différemment dans les États membres de l’Union.

Le principe de subsidiarité trouve ici son expression la plus pertinente puisque les traditions juridiques et les sensibilités nationales peuvent s’exprimer à travers des transpositions différentes selon les États.

La législation italienne est à ce titre exemplaire. Elle offre la meilleure protection aux animaux destinés aux expériences, grâce à deux textes législatifs :

- D’une part, la loi n°413 du 12 octobre 1993 sur l’objection de conscience en matière d’expérimentations animales ;

- D’autre part, le décret législatif du 4 mars 2014.

 

L’objection de conscience en matière d’expérimentations animales : un stimulus pour la science ?

 Ce droit est inspiré de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et de la Convention européenne des droits de l’Homme. L’article 9 de cette Convention dispose que toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ainsi qu’à manifester cette liberté, sous réserve de restrictions prévues par la loi dans des cas très limités. Appliquée à la science, cette liberté de conscience implique que chacun peut refuser de participer à une expérimentation animale.

La législation italienne reconnaît dès 1993 ce droit d’objection de conscience qui est ouvert à tous les acteurs scientifiques : dès lors qu’ils ont déclaré leur objection, les étudiants, mais aussi les médecins, les chercheurs ou encore les techniciens et les infirmiers sont protégés par la loi contre toute discrimination à leur encontre.

En outre, le droit italien prévoit que « Toutes les structures publiques et privées habilitées à exercer les tests sur les animaux sont tenues de divulguer à tous les travailleurs et les étudiants leur droit d'exercer l'objection de conscience à l'expérimentation animale ».

Mieux encore, les universités sont tenues de proposer aux objecteurs des méthodes d’enseignement qui ne prévoient pas de tests sur les animaux. Cette disposition est de nature à stimuler le recours à des méthodes alternatives.

Celles-ci tendent par ailleurs à se multiplier, que l’on songe par exemple aux expérimentations in vitro, à la modélisation informatique, au microdosage, aux organes sur puce ou encore aux cultures de cellules.

De ce point de vue, l’Italie, en reconnaissant l’objection de conscience depuis 1993, est le pays le plus avancé d’Europe, sans que l’on constate un affaiblissement des performances scientifiques ou industrielles de ce pays.

Ce droit pourrait même stimuler la recherche italienne, car l’obligation de fournir aux étudiants objecteurs des méthodes d’enseignement sans tests, permet de créer un « vivier » d’étudiants et de chercheurs mieux disposés à utiliser les nouvelles technologies et finalement à en comprendre les avantages comme les limites.

En effet, comme je le révélais en séance plénière en juillet dernier, les méthodes alternatives aux expériences sur les animaux sont encore entravées par plusieurs facteurs :

- Le premier d’entre eux, c’est justement que les universités utilisent les tests sur les animaux à défaut de consacrer les moyens financiers nécessaires pour utiliser les nouvelles technologies ;

- Le second facteur, c’est l’inertie règlementaire qui impose aux laboratoires de recourir à des tests sur les animaux pour obtenir les précieuses autorisations de mise sur le marché ;

- Enfin, le troisième facteur, c’est le besoin de financements de certaines structures. On constate malheureusement que certaines expériences sur les animaux sont menées mécaniquement pour continuer à récolter ces financements. C’est le cas notamment des chiens testés depuis plusieurs décennies pour trouver un traitement contre la myopathie, sans résultats probants jusqu’à aujourd’hui.

Loin d’être anodin, le droit d’objection de conscience italien relatif aux tests sur les animaux incite les universités à développer des méthodes d’enseignement et des techniques alternatives à leurs étudiants et chercheurs. Ainsi, ce droit ne freine pas la recherche, mais stimule au contraire l’innovation, en encourageant le recours à des technologies plus modernes et plus innovantes.

En France, ce droit d’objection de conscience est revendiqué par les associations de défense des animaux telles que la Fondation Brigitte Bardot et a même fait l’objet d’une proposition de loi, malheureusement restée sans suite. Pourtant, comme en Italie, ce droit permettrait de stimuler le développement des nouvelles méthodes de recherche, en commençant par la base : les universités.

Le droit italien sur les animaux de laboratoire, c’est la directive de 2010. En mieux.

L’Italie encadre plus étroitement les expériences sur les animaux que la directive de 2010. Le décret législatif italien du 4 mars 2014 applique de manière très concrète le principe des 3 R, mentionné par la directive de 2010, mais sans imposer de mesures précises.

Ce principe des « 3 R », pour Remplacement, Réduction et Raffinement, a le mérite de la clarté. Il consiste à :

- Vérifier si une méthode alternative peut être utilisée (Remplacement) ;

- Réduire au minimum le nombre d’animaux utilisés quand les tests sont indispensables (Réduction) ;

- Améliorer les conditions d’hébergement des animaux et les conditions d’expérimentation en maîtrisant notamment la douleur (Raffinement).

Le droit italien applique ce principe en le déclinant par des mesures tangibles.

Ainsi, s’agissant du Remplacement, une précédente loi de 1992, abrogée depuis l’adoption de la directive de 2010, imposait aux institutions qui souhaitaient réaliser une expérience sur des animaux de démontrer que, pour obtenir le résultat recherché, il n'était pas possible d'utiliser une autre méthode scientifiquement valable, applicable pratiquement et raisonnablement.

Bien que cette loi ait été abrogée, la jurisprudence italienne a maintenu cette obligation. Comme le note un spécialiste du droit animalier, le Conseil d’État italien a rappelé, début 2020, qu’il incombait aux structures habilitées à réaliser des expérimentations animales de prouver qu’il n’existe pas de méthodes alternatives.

Cette charge de la preuve au détriment des établissements habilités à avoir recours à des tests est évidemment très utile pour stimuler le remplacement de certaines expériences par les méthodes alternatives modernes.

La France et les autres pays d’Europe gagneraient à s’inspirer de cette charge probatoire qui éviterait probablement des abus comme celui relaté récemment par un article dans la revue scientifique Plos One[2].

Cet article évoquait une expérience réalisée en Allemagne où 142 macaques, pour la plupart des bébés entre dix mois et trois ans, ont été fortement irradiés. Soixante jours plus tard, les soixante macaques survivants ont été euthanasiés, après avoir subi toutes les pathologies consécutives aux radiations : aphtes, diarrhées, plaies, anorexie, détresse respiratoire, hémorragie, épilepsie, etc.

Cette expérience était en réalité inutile, puisque les scientifiques précisent dans l’article que les effets des irradiations étaient déjà connus. L’expérience n’a donc strictement rien apporté à la science.

Avec une jurisprudence telle que celle du Conseil d’État italien, ce gâchis scientifique et d’une cruauté terrifiante n’aurait sans doute pas eu lieu, car les scientifiques n’auraient pas pu apporter la preuve qu’il n’existait pas une autre méthode scientifique valable pour parvenir au résultat souhaité : et pour cause, cette expérience avait déjà été menée et les résultats étaient connus…

Autre point fort de la législation italienne : l’application des principes de Réduction et de Raffinement. Le droit italien transpose la directive en y ajoutant des restrictions supplémentaires qui permettent à la fois de limiter le nombre d’animaux utilisés (réduction) et d’améliorer leurs conditions d’expérimentation (raffinement).

 

Sont ainsi interdites :

- Les expérimentations animales à des fins militaires ;

- Les interventions susceptibles de rendre aphones les animaux utilisés ;

- Les expérimentations réalisées dans le cadre de recherches portant sur la xénotransplantation ou les stupéfiants ;

 

Sont restreintes :

- Les procédures réalisables sans anesthésie ;

- La réutilisation d’animaux pour de nouvelles expériences, autorisée seulement si les procédures successives sont légères ou modérées ;

- Les expérimentations à des fins éducatives, autorisées dans les seules écoles vétérinaires et dans certaines écoles de médecine ;

- L’expérimentation sur les grands singes, en principe interdite, sauf s’il est scientifiquement prouvé qu'il est impossible d'atteindre l'objectif de la procédure en utilisant des espèces autres que les primates ;

- L’activité d’élevage de chiens, de chats et de primates, limitée à des fournisseurs agréés et dont l’usage doit est justifié scientifiquement.

L’exemple italien peut-il inspirer la Commission européenne dans ses propositions législatives ?

Ce serait souhaitable tant cette législation incite à recourir le plus possible à des méthodes alternatives, tout en exigeant une justification scientifique sérieuse aux expériences menées sur les animaux.

Toutefois, rien n’est moins sûr puisque la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre l’Italie, dont elle estime la législation « trop restrictive ». Selon elle, le décret de 2014 impose des restrictions excessives à l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques, ce qui pénaliserait la recherche italienne.

Là où la Commission européenne nous « étonnera » une fois de plus, c’est que dans une réponse à une question écrite, elle semble affirmer que lorsqu’elle vérifie la conformité des législations des États membres avec la directive de 2010, elle le fait en « En tant que gardienne des traités et conformément à son engagement en réponse à l'initiative citoyenne européenne Stop Vivisection ».

Or, Stop Vivisection est justement une initiative des citoyens contre la souffrance des animaux de laboratoire. Il n’y a décidément qu’à Bruxelles où on l’on peut condamner une législation qui améliore le bien-être animal au nom du bien-être animal…

Il semble que la Commission agisse encore à contre-courant de l’histoire et de la volonté des citoyens européens qui exigent au contraire de l’Union européenne qu’elle fasse évoluer sa législation vers plus de bien-être animal.

Une fois de plus, l’effet d’inertie de la technocratie européenne touche ici ses limites. Espérons que la Cour de justice de l’Union européenne, si elle venait à se prononcer, tranchera en faveur de la législation italienne.

[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/NIM/?uri=celex%3A32010L0063

[2] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8294544/pdf/pone.0254344.pdf?fbclid=IwAR3LXrm_tWEL-SaQ8XcU4NtCY2MfKKh68OMB1UMzh4RFEkKsK683fBjPrlE

Annika Bruna

Tribune libre

19 octobre 2021

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