CETA, un traité en marche silencieuse

Mathilde Androuët

Tribune libre

25 janvier 2020

 Tribune de Mathilde Androuët, Député français au Parlement européen

Lors de la Convention citoyenne sur le climat qui s'est tenue le 10 janvier, Emmanuel Macron a réaffirmé son soutien  inébranlable au traité de libre-échange  entre l'Union européenne et le Canada, le très décrié  CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), du fait de sa «compatibilité avec (les objectifs en faveur)  du  climat (...) si on ne ratifie pas le CETA, on ne signera plus d’accord avec qui que ce soit ».

Mais la question climatique, si tant est qu'elle est bien posée ici, justifie-t-elle à elle seule cet accord et en fait-elle un traité bénéfique? La réponse est bien évidemment non !

Le CETA a été  approuvé le 24 janvier 2017  par une large majorité de députés libéraux et socialistes européistes siégeant dans la Commission commerce international du  Parlement européen. A l'époque le président du Parlement européen, Martin Schulz, se réjouissait, à l'instar du président du Conseil européen,  Donald Tusk, qu'au sein de l'UE  « tous les partis socialistes  (soient)  pour ». Le  21 septembre  de cette même année cet accord a  été signé   par Bruxelles et Ottawa. Pour que le CETA entre en vigueur de manière définitive, la ratification  de tous les États membres est prescrite, ce que moins de la moitié des pays ont fait pour le moment. Cependant,  il  s'applique déjà largement depuis 2018, notamment en ce qui concerne les droits de douane qui relèvent de la compétence européenne sans qu'il soit nécessaire d'obtenir le consentement des parlements nationaux.

Il reste des mesures à faire valider par les États membres et pas des moindres, ne serait-ce que son chapitre traitant de la protection des investissements par la mise en place de «tribunaux d’arbitrage» internationaux, laquelle permet aux multinationales  d’attaquer une décision étatique, une loi qu'elles estiment contraire à leurs  intérêts privés. Nous assisterions ainsi à l’avènement d’une justice privée d’exception qui s’imposera à notre droit national. Or, en cas de ratification définitive, et même en cas d'une dénonciation ultérieure du CETA, des clauses dites crépusculaires  prévoient que ces tribunaux d'arbitrages pourront continuer à œuvrer  encore pendant  20 ans!

Le 23 juillet 2019, une majorité de députés à l'Assemblée nationale ont voté le projet de loi de ratification du CETA. Ce texte  devait être examiné par le Sénat il y a trois mois. Il n'en a rien été et la parution de l'ordre du jour prévisionnel des travaux du Sénat qui couvre le mois de février à venir, n'en fait pas mention.  Un escamotage qui fait l'affaire du gouvernement, déjà  soumis depuis plus d'un an à une fronde sociale d'une ampleur inédite. Par crainte d'un camouflet d'une majorité des  sénateurs  soumis à la pression de l'opinion et du monde rural, la macronie préférerait maintenir le statu quo ante;  à savoir  la poursuite de l’application provisoire de l’accord, du  provisoire sans limite annoncée...

Marine Le Pen, les élus du Rassemblement National au Parlement européen comme au palais Bourbon,  ont alerté nos compatriotes depuis le début des discussions autour du CETA.  Derrière «l’harmonisation des normes sanitaires et environnementales », la promesse faite à nos entreprises de «débouchés » vers l’immense Canada, la réalité est bien différente. Le CETA se traduira en fait aussi par une destruction de nos emplois -de 180 à 200 000 emplois menacés en France selon les syndicats agricoles.  Il éradique officiellement 99% des droits de douane entre le Canada et l’UE, supprime les contingents, protège très mal nos AOC, favorise les éleveurs canadiens utilisant hormones et activateurs de croissance qui ont des coûts de revient plus avantageux que les nôtres.

D'ores et déjà, l’application provisoire de l’accord en 2018, selon   les chiffres communiqués par l’Union européenne et le gouvernement canadien, se traduit par une très forte augmentation des exportations canadiennes de produits agricoles à prix cassés vers l’Europe, qu'il s'agisse du lait, de la viande porcine et bovine, alors même que l’Union européenne est le premier exportateur mondial de porcs et  la France  le premier producteur européen de viandeEt ce, pour le plus grand profit des multinationales anglo-saxonnes qui, solidement implantées des deux côtés de l'Atlantique, profiteront, elles, du dévissage des coûts d’approvisionnements.

Le CETA est bien un cas d'école, un exemple emblématique des ravages de la doxa ultra libre-échangiste ayant colonisé l'esprit des dirigeants euromondialistes qui s'accrochent à un modèle économique qui  appartient au passé.  Les géants agricoles comme le Bresil, la Chine ou les Etats-Unis savent protéger leur monde agricole.  L'Europe bruxelloise, elle, s'y refuse par dogmatisme et là encore les Français et les Européens le payent au prix fort.

Etant donné que la majorité des pays, comme le Brésil, la Chine, les Etats-Unis, la Norvège protège leurs agricultures, seules les multinationales telles que JBS, Cargill ou encore Tyson, qui sont implantées géographiquement dans les deux parties signataires de l’accord, profiteront de cet accord. Elles joueront pleinement sur la chute des coûts d’approvisionnement et organiseront à leur profit, sans souci pour le climat, l'ensemble des échanges internationaux.

Les agriculteurs européens apparaissent donc bien comme les sacrifiés de cet accord de libre-échange, puisque le gouvernement canadien a déjà alloué un plan d’aide de 3,9 milliards de dollars pour les producteurs de lait, volaille et œufs quand l’Europe ne prévoit rien pour les siens dans le cadre du CETA.

Ainsi, si le CETA est voté en l’état, 180 à 200 000 emplois seront sacrifiés en France. Si le rythme de disparition des producteurs de bovins entre 2000 et 2016 (- 42 %) se maintient, ce ne sera pas moins de 30 000 producteurs selon l’interprofession bovine, ainsi que les emplois qu’ils génèrent, qui disparaîtront, sans compter l’effet baisse de consommation induite, tant de viande fraîche que de produits transformés, du fait de la perte de confiance déjà réelle des consommateurs (farine de viande, antibiotiques, hormones...).

C’est aussi la mise en péril de l’inscription de notre gastronomie française au patrimoine mondial de l’Unesco.

Là encore, la logique d’économie d’échelle vient s’attaquer à la logique de patrimoine culturel, d’équilibre local ou de protection sanitaire. Loin d’être une avancée, jeter notre économie et nos agriculteurs, gardiens de notre savoir-faire et de notre savoir-vivre français est un élément déstabilisateur et même dangereux contre lequel nous devons fermement lutter.

Mathilde Androuët

Tribune libre

25 janvier 2020

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