Après-covid : sur quels marchés d’avenir fonder  notre stratégie de reconquête économique ?

Thibaut de la Tocnaye

Tribune libre

09 mai 2020

Tribune de Thibaut de La Tocnaye, Ingénieur centralien, dirigeant-fondateur d’entreprises industrielles, conseiller régional PACA, membre du Bureau National du RN, auteur de « Le Choix Souverainiste » (2019, Ed. Atelier Fol’fer)

Dans une démarche résolument optimiste malgré une économie nationale en forte récession et une future concurrence internationale exacerbée par l’après-covid, comment élaborer une stratégie viable de reconquête des marchés mondiaux ? Il semble intéressant de croiser à la fois les « impératifs de souveraineté » apparus et caractérisés par la crise sanitaire et économique elle-même et les filières où l’excellence française est encore au rendez-vous ou est susceptible de s’affirmer à moyen terme. Trois directions à suivre semblent alors se dessiner.

A. Plusieurs secteurs directement et fortement sollicités durant ces deux derniers mois ont démontré en quelque sorte leur dimension stratégique : il s’agit bien sûr de l’agro-alimentaire et du médical. Parallèlement le traitement des déchets et celui de l’eau, dont on a moins parlé, sont tout autant critiques. Ajoutons l’énergie, avec en premier lieu l’électricité (à 70% nucléaire), absolument vitale pour la continuité d’exploitation de nombre de secteurs industriels-clés. Pour s’efforcer d’être assez exhaustif, citons enfin les systèmes informatiques.

B. Conjointement, il est capital de bien prendre en compte les ruptures technologiques qui se profilent à l’horizon et qui vont entraîner une recomposition des rapports de force industriels et économiques mondiaux. Cela doit être une opportunité pour nous. Ce sont des innovations scientifiques et industrielles majeures, comme il en existe deux ou trois fois par siècle, en l’occurrence l’intelligence artificielle (IA), le stockage et le traitement des données (Data) et l’informatique quantique.

C. Enfin, notre stratégie de conquête économique mondiale, en même temps que de recouvrement de souveraineté nationale, ne doit pas exclure - bien au contraire - l’activation (ou l’accélération), face à la concurrence chinoise et américaine, de grands projets européens de coopération sur des chantiers qui se chiffrent en dizaine de milliards, donc assez difficilement portables au seul niveau français. En revanche, il sera judicieux de sélectionner et privilégier les programmes où le haut degré de qualification de la France est avéré !

En tenant compte de tous ces paramètres, plusieurs filières, où nous sommes déjà leader mondial ou tout au moins dans le top 3 ou 5, se dégagent d’emblée. A tout seigneur, tout honneur, en ces temps de coronavirus et de confinement,  il faut bien sûr citer avec une mention particulière la double filière agricole et agro-alimentaire où nous sommes 2e européen et 5e mondial. Certes, plutôt en perte de vitesse… pour le moment… mais cela doit changer ! En effet, cette dégradation constante est à imputer avant tout aux gouvernements qui se sont succédé sans aucune vision et aucun volontarisme stratégiques en matière de ré-industrialisation et de reconquête de l’espace agricole et rural. Or, nous savons aujourd’hui que les Français ne l’acceptent plus. C’est un des enseignements de la crise actuelle. Autre secteur d’excellence nationale, hyper-stratégique : le traitement de l’eau qui est dominé au niveau mondial par les groupes français. Quant au traitement des déchets, complémentaire du précédent, nous sommes en passe de devenir premier mondial. Ceci est de bon augure pour les décennies à venir. La France, traditionnellement performante, voire tête de file, dans les sciences de la terre, des sols et de la mer (géologie-géotechnique, vulcanologie, océanologie,…), l’est aussi naturellement dans la construction (fondations spéciales, bâtiment, ouvrages d’art…). En fait, elle est le numéro un mondial incontesté du BTP.  Bien que ce secteur soit en panne aujourd’hui, il redémarrera nécessairement assez vite, surtout au niveau mondial où il reste une valeur sûre. Ceci est doublement intéressant pour l’avenir car cela correspond à un chiffre d’affaires énorme et  ce marché sera couplé avec des innovations qui l’amplifieront de façon significative : domotique, matériaux composites de construction, recyclage des matériaux,…

Vient ensuite, dans le domaine de l’énergie, le nucléaire où, avec la thermo-fusion nucléaire et la transmutation par laser (prix Nobel décerné au Français Gérard Mourou en Octobre 2018), nous sommes en pointe. Il est clair que cette filière reste et doit rester pour nous un dispositif-clé de notre stratégie au sein de la transition énergétique. Pour mémoire, les Chinois, les Russes et les Indiens ne se gêneront pas pour essayer de nous doubler dans ce domaine. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. Fragilisé actuellement, l’aéronautique doit à tout prix perdurer. Avec l’industrie de défense, ce sont des priorités absolues à la fois d’un point de vue « souveraineté » et d’un point de vue économique. Malgré les turbulences actuelles pesant sur Airbus, notre objectif constant doit être de demeurer, respectivement, dans le top 2 et dans le top 5 de ces secteurs à très forte valeur ajoutée et à retombées technologiques (spin off) inégalées.  Enfin n’oublions pas le luxe, spécificité française, où nous sommes solide leader

mondial. Bien qu’entre parenthèses  en ce moment, les ventes de ce secteur, tirées par l’international reprendront à très moyen terme. A noter les passerelles nombreuses de ce secteur avec le tourisme, autre source importante de revenus mais par définition, quant à lui, non exportable.

Dans les filières et sous-filières moins matures mais néanmoins capitales dans la reconfiguration des écosystèmes du futur, la France doit évidemment est présente. Ainsi, au sein des champs d’investigation que sont l’intelligence artificielle, le stockage et le traitement des données (Data) et l’informatique quantique et qui sont d’ailleurs imbriqués, la France a plusieurs points forts et, malgré une certaine avance de la Chine et des Etats-Unis, rien n’est joué. En intelligence artificielle (IA), elle peut compter sur une école de mathématique, en pointe niveau mondial, apte à toutes les révolutions ainsi que sur le tout récent supercalculateur Jean Zay (Janvier 2020) qui nous met dans la cour des grands. Sur le plan de l’accumulation des Données, « matériau » de base de l’intelligence artificielle,  la France est probablement leader mondial pour les applications de celle-ci dédiées au « B2B » (industrie) grâce à la collecte de Data dans ses secteurs d’excellence que sont l’énergie, le nucléaire et l’aérospatial. Cela peut constituer un sérieux contrepoids au leadership de la Chine et des EU dans l’IA « grand public ». Quant aux ordinateurs quantiques, qui déclencheront une rupture technologique plus importante encore que celle apportée par les nanotechnologies, la photonique, les IRM et laser, la France a tous les atouts pour rattraper la Chine, les EU et le Royaume-Uni, ayant l’ensemble de la panoplie scientifique adéquate à sa disposition (excellence unique de notre recherche en physique et intrication quantique, photonique, calcul quantique et cryptographie) dans un processus qui en est encore au stade de la recherche.

Pour compléter ce panorama des marchés primordiaux pour la France, il faut aussi citer les marchés du futur qui doivent être soutenus par une coopération européenne choisie et ciblée. Plusieurs « chantiers », sont ainsi essentiels par rapport à la concurrence mondiale (Chine, Etats-Unis, Russie et demain Inde, Corée, Brésil,…) : la poursuite d’ITER (thermo-fusion nucléaire préindustrielle), projet international mais implanté sur le sol français; le lancement d’un avion supersonique de transports de passagers; la construction absolument stratégique d’unités de production européenne de semi-conducteurs à taille mondiale (à partir, par exemple, du franco-italien STMicroelectronics) ainsi que de micro-processeurs, véritables cerveaux de tout équipement électromécanique; l’élaboration d’un moteur de recherche franco-européen pouvant égaler Google et Baidu; la relance de la conquête spatiale avec Arianespace et l’ONERA, la recherche sur le vivant et les biothérapies… Ces grands projets européens doivent avoir pour effet de démultiplier les programmes de prédilection de la recherche française tant fondamentale que préindustrielle.

En conclusion, afin de tenter de proposer une stratégie exhaustive et cohérente de reconquête industrielle, deux dernières filières à fort débouché devraient être consolidées, en sus des secteurs français cités plus haut (nucléaire, aéronautique, armement, BTP, eau, déchets, agro-alimentaire, luxe, intelligence artificielle et informatique quantique, semi-conducteurs), qui entérineraient notre place au niveau mondial : d’une part, un secteur « transversal » déjà bien existant, les matériaux composites (nouvelles générations durables, produits bio-sourcés, fabrication additive, matériaux pour aéronautique, automobile, construction…) et d’autre part un secteur qui doit redevenir une priorité française, le biomédical-santé (biologie moléculaire et cellulaire, recherche médicale clinique, biothérapies, bio-contrôle animal et végétal, santé digitale…).

Thibaut de la Tocnaye

Tribune libre

09 mai 2020

>