Affaire Gamestop : un scandale financier dans l’air du temps

France Jamet

Tribune libre

03 février 2021

Gamestop est une entreprise de vente au détail de jeux vidéo. Il y a quelques jours, sa capitalisation boursière s’élevait à 250 millions de dollars. Cependant, la profonde restructuration que connaît le secteur et la pandémie actuelle ont sévèrement entamé les perspectives de croissance de l’entreprise. Face à cet état de fait, de grands fonds d’investissement misent sur la baisse du cours de l’action, pratiquant ce qu’on appelle la vente à découvert.

Le principe est simple : vous empruntez une action que vous vendez au cours du marché, mais cette action, vous ne la possédez précisément pas. Il vous faudra donc la rendre. Si, entre le moment où vous l’empruntez pour la vendre et le moment où vous la rendez, le prix baisse, vous empochez la différence. Dans le cas contraire, vous payez.

Gamestop a été l’une des entreprises victimes de ce procédé de vente à découvert, aussi appelée « short ». Melvin Capital, fonds d’investissement ayant pignon sur rue à Wall Street, était particulièrement positionné en « short » sur l’action Gamestop. Ce qui ne devait être qu’une simple opération boursière quotidienne a cependant très vite tourné – pour eux – au cauchemar.

Sur Internet commence alors un mouvement de grande ampleur chez les amateurs de jeux vidéo désireux de sauver la marque. La machine s’emballe, ils sont des millions à faire des placements, parfois jusqu’à des dizaines de milliers de dollars. L’action s’envole et augmente de 1 600%. Conséquence immédiate d’un tel mouvement, les vendeurs à découvert – qui, rappelons-le, misent sur la baisse de l'action – se retrouvent les reins cassés et accusent des milliards de pertes. C'est ainsi que le fonds Melvin Capital comptabilise 5 milliards de perte avant d’être contraint de clôturer sa position vendeuse, et de s’endetter de 2,5 milliards afin d'éviter la faillite pure et simple. Sa cote chute de 53%. Pour couvrir les pertes, on en arrive à vendre les bijoux de famille : Apple a vu son cours chuter de 5%, Microsoft, Tesla et d’autres, tombent aussi.

Ce que l'observateur retient de cette affaire, c'est qu’une communauté bien organisée de quelques millions de personnes peut déclencher un cataclysme boursier, avec beaucoup plus de facilité que l'on ne pourrait le croire. Cela en dit long sur la profonde vulnérabilité des marchés financiers et des entreprises françaises... Qu’est-ce qui empêcherait en effet, dans le marché tel qu’il est actuellement (dé)régulé, des puissances hostiles – ou même des agents terroristes – de mener des raids financiers sur certaines entreprises françaises stratégiques pour en prendre le contrôle ?

Les plateformes de trading utilisées par les membres de la communauté Redit permettent, avec un contrôle minime, de se positionner sur n’importe quel marché, sur n’importe quel actif, partout dans le monde. Ce qui se voulait être un outil pratique pour faciliter l’accès à la bourse des particuliers pourrait aujourd’hui se transformer en arme financière massive, et marquerait ainsi l’avènement final du dogme de la liberté de mouvement du capital totalement affranchi des frontières et des États.

Le rôle de ces plateformes d’opérateurs de marché (trading) pose par ailleurs des problèmes similaires à ceux évoqués aujourd’hui lorsque l’on parle des capacités de censure des réseaux sociaux. En effet, face à la panique, la plateforme RobinHodd, utilisée par les activistes de l’opération Gamstop, a décidé unilatéralement de suspendre les échanges de l’action Gamestop sur son site, posant ainsi une question cruciale : jusqu’où va le « deux poids, deux mesures » lorsque l’on parle de marchés boursiers ? Au nom de quelle légitimité une plateforme suspend-elle arbitrairement les échanges d’un actif sur son site ?

La numérisation de la finance demande que l’on s’attaque avec sérieux à la régulation des marchés financiers dans l’optique de rendre à la bourse, comme à la banque, son véritable rôle : financer l’économie réelle et la croissance future.

France Jamet

Tribune libre

03 février 2021

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