À Strasbourg, le scandale de l’ingérence chinoise dans l’université française.

Dominique Bilde

Tribune libre

04 mars 2021

C’est par Strasbourg que le scandale arrive. Vendredi, Christian Mestre, déontologue de l'Eurométropole et par ailleurs ancien doyen de la faculté de droit de l'université de Strasbourg, a démissionné à la suite de la publication par Le Point d’allégations relatives à son voyage en Chine en 2019.[1]Il s’y serait exprimé au sujet des Ouïghours, dans des termes - à en croire les propos retranscrits par les médias d’État et que l’intéressé conteste en partie- fort amènes et de nature à ménager la susceptibilité de l’empire du Milieu.

À l’heure où les républicains américains tonnent contre la tenue des Jeux olympiques d’hiver à Pékin et que le Canada tempête contre un génocide à l’encontre de cette minorité musulmane, une telle compromission, si elle était avérée, tomberait au plus mal. Reste que cette malencontreuse affaire n’est que la partie émergée de l’iceberg de l’entrisme chinois dans l’enseignement supérieur occidental, sur lequel un rapport publié par l’université de Stanford[2] dressait en 2019 un constat accablant.

Au banc des accusés, les instituts Confucius. Sous l’allure d’un avatar local de l’Alliance française, ces établissements culturels sont placés sous la houlette du redoutable Hanban, lui-même lié au ministère de l’Enseignement et au service de propagande extérieure du Comité central du Parti communiste chinois. Autre particularité : les instituts fonctionneraient en partenariat avec l’université d’accueil, qui mettrait à disposition des locaux, tandis que les professeurs et le matériel seraient fournis par un établissement chinois. Une structure déroutante, qui a suscité certaines réticences en France : dans les colonnes du Point, Marie Bizais-Lillig, spécialiste de littérature chinoise, se confiait ainsi sur les « pressions » qu’aurait subies l’université de Strasbourg en 2012 pour se plier à l’exercice - pressions dans lesquelles la région Alsace aurait été selon elle partie prenante. À Lyon, l’aventure a vite tourné court : les universitaires français ont finalement claqué la porte de l’institut, avec en toile de fond la mainmise sourcilleuse du Hanban sur les programmes.

Las, tandis que l’administration Trump ravalait en 2020ces établissements au rang de missions diplomatiques, les contraignant ainsi à de rigoureuses obligations d’information, et que le parlement australien s’inquiétait de cet entrisme décomplexé, aucune prise de conscience apparente ne vient ternir la lune de miel entre la France et l’empire du Milieu.

Faut-il y voir l’attrait de la manne que représentent les quelque 35 000 étudiants chinois optant chaque année pour notre pays ? Quoi qu’il en soit, c’était tout sourire que le ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal se rendait à Pékin en 2019 pour y signer une série d’accords de coopération. Quant à l’Union européenne, pourtant si prolixe s’agissant de « l’ingérence russe », elle s’est bien fendue d’une note en février 2020 sur ce type d’interférences étrangères, mais semble depuis lors aux abonnés absents...

Reste la région Grand Est, qui n’aura manifestement rien retenu de ses déconvenues avec Pékin, pourtant caractérisées par une succession de projets économiques avortés dont la déroute de la cristallerie de Baccarat constitue l’épisode le plus emblématique. Avec ce nouveau scandale entachant l’université, elle n’y joue plus son indépendance économique, mais ce qu’il lui reste de prestige international.

[1]https://www.lepoint.fr/monde/comment-la-chine-pousse-ses-pions-a-l-universite-26-02-2021-2415542_24.php

[2]https://www.hoover.org/sites/default/files/research/docs/diamond-schell_corrected-april2020finalfile.pdf

Dominique Bilde

Tribune libre

04 mars 2021

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