Tribune libre d’Eric Domard, Conseiller spécial de Marine Le Pen
Les frappes aériennes en Syrie et la sortie de l’accord sur le nucléaire iranien nous rappellent combien les Etats-Unis restent un empire.
Son statut d’hyperpuissance ne peut se concevoir sans cette prétention hégémonique qui sous-tend des rapports de force fondés sur la prépondérance, la domination, mais également le principe d’obéissance qui en découle pour ses alliés et partenaires.
Comprendre la vision géopolitique des Etats-Unis, sa perception des relations internationales ne peut intelligiblement se faire sans prendre en compte la destinée quasi messianique qui forge l’identité de cette nation depuis sa création.
Quels que soient les gouvernements qui se sont succédé depuis la déclaration d’indépendance, tous communient dans ce même sentiment de supériorité, l’exaltation d’une nation sûre d’elle-même, guidée par la Providence, qui ne doute pas, qui revendique son caractère exceptionnel et unique et qui a l’ambition de construire le monde à son image.
Des pères fondateurs qui débarquèrent en 1620 du Mayflower sur la côte Est de ce qui deviendra les Etats-Unis pour y poser les fondations du nouveau monde, celui censé apporter le bonheur et la liberté, valeurs gravées dans le marbre de la Constitution, à leurs successeurs, tous ont pris soin de porter cette visée universelle.
De Jefferson parlant de son pays comme « du plus grand espoir du monde » à Abraham Lincoln célébrant « le dernier et le meilleur espoir sur cette terre », aux dirigeants contemporains tels la démocrate Madeleine Albright, ancienne secrétaire d’Etat voyant dans l’Amérique « la nation indispensable », au républicain George W. Bush, appelant « à se souvenir de la bénédiction qui nous a été donnée pour rendre ce monde meilleur ».
Cette nation qui s’est construite sur le mouvement perpétuel et les conquêtes fulgurantes (l’expansion à l’Ouest, l’annexion de vastes territoires au sud) n’a pas hésité à traduire de manière assez cynique cet adage qui veut que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Les nations indiennes et le Mexique seront les premiers à en faire l’amer constat.
Ainsi va l’Amérique, dominatrice pour les uns, mais également protectrice pour les autres. Nul n’oublie l’engagement, les sacrifices de ce pays qui s’est posé en héraut des démocraties contre les régimes totalitaires lors du second conflit mondial.
Le GI tombé sur les plages de Normandie ou dans les marécages de Guadalcanal incarnait pour les populations éprouvées par l’occupation cet idéal porté par les pères fondateurs : la liberté retrouvée.
« Le plus grand espoir du monde », cette hégémonie bienveillante va cependant voir son image se brouiller par les circonvolutions de la diplomatie américaine à l’épreuve de la guerre froide, des conflits postcoloniaux, de la chute du Mur de Berlin et de l’émergence du totalitarisme islamiste.
La défense de la démocratie qui avait été le porte-étendard et la justification aussi bien idéologique que morale de l’interventionnisme américain va s’étioler au gré d’un réalisme froid et calculateur, où les grands principes s’effaceront derrière les petits intérêts.
Car cette Amérique qui avait contribué à faire triompher la liberté au nom des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, va progressivement s’arroger le droit de s’immiscer, d’influencer, de choisir pour les peuples le chemin à suivre.
Du bombardement massif de la Serbie en 1999 en violation totale de la charte des Nations-Unies, à la transformation de l’OTAN, bouclier militaire défensif, en bras armé du « hard power » étasunien en Europe de l’Est visant à isoler la Russie, de la guerre en Irak lancée après une campagne de propagande et de « fake news » massives (qui a oublié le mensonge grossier de ces couveuses koweitiennes débranchées par des soldats irakiens), à l’intervention prétendument droit-de-l’hommiste en Libye, les Etats-Unis ont fini par donner corps à cette affirmation qui voudrait que la « raison du plus fort est toujours la meilleure », qu’importent les incohérences idéologiques qu’elle soulève.
Ce droit d’ingérence brandi au nom de la morale humanitaire qui est désormais le levier de la diplomatie américaine ne s’embarrasse pas de de logique et encore moins d’équité.
L’important n’est pas la vérité, l’important est ce que le monde croit.
Ce droit d’ingérence à géométrie variable conduit désormais les Etats-Unis à intervenir en violation flagrante du droit international en Syrie, mais à laisser une dictature religieuse, l’Arabie Saoudite, carburant idéologique du radicalisme et de l’extrémisme sunnite, intervenir militairement au Yémen et imposer un blocus meurtrier aux populations civiles.
De même, quand l’administration américaine décide unilatéralement de sortir de l’accord sur le nucléaire iranien sans que rien ne le justifie, elle fait in fine le jeu des ultra-conservateurs iraniens qui ont toujours dénoncé cet accord comme un aveu de faiblesse poussant à une militarisation accrue du régime des ayatollahs.
Cette prétention de plus en plus manifeste à croire que la cause de l’Amérique est la cause de l’Humanité, à imposer une vision unilatérale des relations internationales, à dicter ses règles en tordant le bras s’il le faut à ses propres principes, rend-elle le monde plus sûr comme le pensent les dirigeants étasuniens ?
Rien n’est moins sûr si l’on en juge par la prégnance du sentiment anti-américain qui prédomine non seulement dans l’opinion publique des pays qui sont les cibles de la politique américaine, ce qui est somme toute logique, mais également dans les pays qui sont des alliés historiques de Washington (Jordanie, Pakistan) ce qui l’est beaucoup moins et révèle la fragilité du concept de la « nation indispensable ».