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Cloud français : quand souveraineté numérique rime avec soumission numérique

Mathilde Androuët

Tribune libre

07 octobre 2021

Tribune de Mathilde Androuët, député français au Parlement européen

Après la création en mai 2021 de la société « Bleu », fournissant un « cloud de confiance » français par Capgemini et Orange mais employant Microsoft comme solution technique, c’est au tour de Thalès d’annoncer ce mercredi 6 octobre 2021 son partenariat avec Google pour lancer un autre « cloud de confiance » en France. Tout comme « Bleu », le partenariat signé entre Thalès et Google consiste à développer un service de « cloud » à destination des entreprises et des institutions publiques à l'horizon 2023. Tandis que Google proposera son offre de logiciels en ligne, de l’intelligence artificielle à la gestion de bases de données, le groupe Thales apportera quant à lui son expertise sur la cybersécurité.

La débâcle diplomatique enregistrée face aux États-Unis à propos de la « crise des sous-marins » entre la France et l’Australie n’aura pas servi de leçon. Notre pays s’obstine ainsi à se servir des technologies numériques américaines alors qu’il pourrait très bien se tourner vers des entreprises françaises pour répondre à ces enjeux de souveraineté numérique. Ce n’est pas un cas isolé puisqu’il évoque également l’épisode du « Health Data Hub », le plus grand fichier français de données de santé dont la gestion avait été accordée à Microsoft avec l’aval du Conseil d’État avant d’être remise en question par le gouvernement suite à une levée de boucliers des défenseurs de la souveraineté numérique française. Dernièrement, c’est le Secrétaire d’État en charge de la Transition numérique, Cédric O, qui s’affichait fièrement avec les responsables du géant Cisco, partenaire privilégié de la NSA, Agence nationale de la sécurité américaine, afin d’aborder l’ « amélioration de la souveraineté numérique de la France » et du « renforcement de la cybersécurité des PME françaises »…

Pourtant, n’était-ce pas Guillaume Poupard, Directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, qui déclarait il y a plusieurs mois devant le Sénat français que « ceux qui dirigeront le monde demain sont ceux qui seront capables de posséder les données et de savoir comment les traiter. Renoncer au traitement des données nous condamne à être des vassaux » ? Nos dirigeants sont visiblement frappés d’amnésie quand il s’agit réellement de préserver les intérêts nationaux.

Cette énième illustration de soumission technologique au profit de nos concurrents étrangers n’est pas sans rappeler le projet européen de « cloud souverain » intitulé Gaia-X au sein duquel l'Union européenne intègre tant des rivaux américains (Google, Amazon, Palantir…) qu’asiatiques (Alibaba, Huawei…). Dernièrement, une étude de Synergy Research montrait à quel point l’Europe se laissait manger par ses concurrents américains d'année en année malgré des budgets toujours plus grandissants : en quatre ans, le cloud européen d'infrastructure est passé en effet de 27 à 16% de part de marché notamment au profit de Google, Microsoft et Amazon...

Derrière les grands discours français ou européens sur la souveraineté numérique se cache en réalité une grande désillusion. Au-delà des considérations d’ordre strictement technique, le politique doit reprendre la main et affirmer sa mainmise dans ce domaine éminemment stratégique. La France ne doit plus se poser la question de savoir « si l’on peut et si oui comment ? » mais plutôt « si l’on doit et si oui comment ? » pour reprendre la formule du célèbre consultant informatique Benjamin Bayart. Il en va de notre indépendance numérique et de notre rang dans la géopolitique de la Data.

Mathilde Androuët

Tribune libre

07 octobre 2021

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