Discours de Pierre-Romain Thionnet

Pierre-Romain Thionnet

Discours

04 avril 2023

Bruxelles, 29 mars 2023

Discours à l'occasion du "Sommet des jeunes leaders européens" organisé par le parti Identité & Démocratie.

 

Dans un petit texte formidable, L’Abîme se repeuple, Jaime Semprun renverse l’interrogation habituelle que tout le monde se pose à propos de l’avenir :

Quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : « Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? », il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : « À quels enfants allons-nous laisser le monde ? »

C’est précisément cette question que nous nous posons ici : à quelle jeunesse allons-nous laisser l’Europe ?

Dans cette salle, on sait que la démographie, ça compte. On sait qu’il s’agit d’une question déterminante. Ceux qui auront vingt ans en 2040 sont déjà nés. Nous en aurons alors entre quarante et cinquante. C’est donc sur nos maigres épaules que repose déjà l’avenir de l’Europe.

Les institutions, les solidarités, les lois, les traditions, les libertés, les sources d’énergie, les arts : rien de tout cela ne tient tout seul, comme par magie. Pas même les paysages, qui ont besoin de la main de l’Homme pour ne pas devenir des friches.

La gauche, en un sens, a raison : tout est construit. Mais nous n’en tirons pas la même conclusion. Du côté de la gauche, puisque tout est construit, il faut tout détruire. De notre côté, parce que tout est construit, nous devons tout (ou presque) préserver et transmettre.

Mais nous ne devons pas pour autant devenir des conservateurs de musée. L’Europe n’est pas un musée, et ne doit jamais le devenir. Lorsque nous n’aurons plus que nos ruines à montrer au monde, c’est que nous serons morts.

Sans aller jusqu’aux provocations futuristes de Marinetti qui promettait « un bâton de dynamite pour toutes les ruines vénérées » et voulait débarrasser l’Italie des touristes, des antiquaires et des brocanteurs, il faut que notre jeunesse défende une Europe vivante et créatrice.

Car l’Europe, c’est ce promontoire jeté sur l’océan entre la Méditerranée et les mers nordiques. Sur ce promontoire, les plus belles œuvres de l’homme ont été dressées ; et à partir de lui, les plus formidables aventures ont été lancées. « De toutes les réalisations, écrit Paul Valéry, les plus nombreuses, les plus surprenantes, les plus fécondes ont été accomplies par une partie assez restreinte de l’humanité, et sur un territoire très petit relativement à l’ensemble des terres habitables. L’Europe a été ce lieu privilégié ; l’Européen, l’esprit européen l’auteur de ces prodiges ».

Notre jeunesse rêve de prolonger cette épopée, de renouer avec cette identité conquérante.

Mais qu’avons-nous devant les yeux ou dans les oreilles, au quotidien : des élites qui non seulement détestent cette histoire, mais veulent la faire oublier ou la remplacer par un récit mensonger.

Des jeunes gens de notre âge qui ignorent ce dont leurs ancêtres ont été capables et qui admirent des contre-modèles. Des influenceurs de l’ignorance et des ministres de la repentance.

Tous les jours, comme von Salomon dans Les Réprouvés, nous avons l’impression qu’ « une entente est impossible entre ce monde et le nôtre ».

Et pourtant, capituler en rase campagne n’est pas une option. Notre jeunesse sait que ce sont les hommes qui décident, et non pas les faits, encore moins les faits matériels. Nous appartenons à des formations politiques qui entendent reprendre le contrôle sur le cours des événements et ne pas se soumettre à la fatalité. Et ce discours gagne du terrain, il redonne du moral. Voilà pourquoi nous ne devons pas désespérer de nos contemporains. S’il nous faut combattre nos ennemis, il nous faut convaincre ceux qui sont spectateurs.

Sur quelles forces pourra compter demain la jeunesse européenne ?

Nous sommes une fraction de la jeunesse du monde. Une toute petite fraction. Quelques dizaines de millions, pas plus. Revenons un siècle en arrière : en 1900, l’Europe était maîtresse du monde. Elle abritait un être humain sur quatre. Aujourd’hui, l’Europe est redevenue cette petite péninsule de l’Asie, et elle n’abrite plus qu’un Terrien sur dix.

Soyons réalistes : Il est vain de croire que nous pourrons rattraper l’Asie ou l’Afrique par le nombre des naissances. En tout cas pas au cours de ce siècle. Nous n’allons pas non plus nous lancer demain à la conquête de territoires extra-européens. Nous sommes dans « le temps du monde fini » dont parlait Paul Valéry. « Toute la terre habitable a été partagée entre les nations, écrit-il. L’ère des terrains vagues, des territoires libres, des lieux qui ne sont à personne, donc l’ère de la libre expansion, est close ».

La guerre en Ukraine nous prouve le coût extravagant d’une politique d’expansion au XXIe siècle. Il n’y a aucune piste à aller chercher de ce côté-là même si nos histoires respectives sont riches de conquêtes épiques, de batailles décisives et de capitaines capables de se tailler des empires à la pointe de l’épée.

L’Europe ne peut plus s’agrandir dans l’espace.

Mais elle peut être conquise.

Conquise parce que sa population y a été préparée dans les esprits, a été rendue disponible. Je suis sûr que, comme en France, la propagande tente de vous persuader que votre pays a toujours été un pays d’immigration, et que l’immigration est davantage une chance qu’un problème.

Conquise parce que tant de jeunes Français, tant de jeunes Européens ont peur de la vie. Ils ont peur de la donner, peur de la transmettre, peur de l’exalter. Peur de la vivre. La plus grande peur des générations qui nous ont précédé a toujours été la peur de la mort ou du Jugement dernier. La peur de notre génération est la peur de la vie.

C’est un renversement inouï des mentalités, encouragé par des esprits détraqués qui nous expliquent qu’avoir des enfants est un crime écologique.

La première étape du redressement de notre continent, c’est donc de retrouver le goût de la vie, de la vitalité.

Débarrassons-nous de tout ce qui nous en empêche : le pessimisme, le « c’était mieux avant », l’ensauvagement, l’individualisme narcissique, la technologie qui anémie plus qu’elle n’incite à créer.

À l’inverse, embrassons tout ce qui redonne sa place à la vie : la sécurité physique et matérielle, le sens, le sacré, le sentiment d’appartenance, les liens de confiance, l’espérance, et bien sûr le premier cercle de solidarité, la famille.

Pour que notre civilisation existe, il faut que nos nations respectives aient le désir de vivre. Pour qu’elles vivent, il nous faut être pleinement vivants.

C’est une longue quête qui nous attend, et dont l’accès au pouvoir est la condition nécessaire (sinon nous ne serions pas ici) mais pas suffisante. Pas suffisante car nous aurons alors l’immense tâche de poser les fondements d’un renouveau, et d’en débuter les travaux prométhéens.

Pour y parvenir, ce qui nous rassemble ici, c’est d’accepter des sacrifices que beaucoup ignorent. C’est le sacrifice d’une bonne partie sinon de tout notre temps disponible. Le sacrifice de l’insouciance qu’on attribue normalement à la jeunesse. Le sacrifice d’une existence purement alimentaire, quand bien même celle-ci peut être difficile.

Si nous combattons, c’est parce que nous avons un but. La jeunesse européenne que nous incarnons doit puiser à la source commune de notre civilisation, et cette source, c’est la Grèce, et c’est évidemment Homère. Dans l’Odyssée, l’indignité suprême c’est de se renier, d’oublier son but, de ne plus poursuivre le sens de sa vie.

Homère nous le fait comprendre dans toute son œuvre, et notamment au milieu des tempêtes en mer, si nombreuses : nul retour à terre n’est possible sans idée fixe, sans fidélité au but.  Si Ulysse parvient à rentrer sur son île d’Ithaque et à y restaurer l’ordre, c’est parce qu’il n’a jamais dévié de son objectif initial, sinon la mer et les dieux l’auraient englouti.

Alors la jeunesse de l’Europe de demain doit être fidèle à son idéal, et non pas l’ensevelir au contact de ceux qui, d’idéal, n’en ont pas et n’en ont jamais eu.

Il ne s’agit pas de rêver d’un monde impossible ou de restaurer ce qui n’a jamais existé ; il s’agit de construire et de bâtir ce qui n’aurait jamais dû disparaître.

Si ce n’est pas nous qui réussissons cette tâche immense, alors nos ennemis abattront leurs cartes.

Pour conclure, avec Gramsci, je dirais à notre jeunesse :

« Formez-vous parce que nous aurons besoin de toute votre intelligence, mettez-vous en mouvement parce que nous aurons besoin de tout votre enthousiasme, organisez-vous parce que nous aurons besoin de toute votre force ».

Pierre-Romain Thionnet

Discours

04 avril 2023

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