Communiqué de Mathilde Androuët, député français au Parlement européen
En pleine pandémie du Covid-19, la France cherche à se doter d’outils numériques capables de préparer la sortie de crise. Au-delà des débats houleux sur le « tracking » - le suivi des déplacements des citoyens pour lutter contre le virus -, l’hôpital français et tout particulièrement l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris) envisage plusieurs solutions techniques afin d’analyser la propagation du virus et aider les hôpitaux à anticiper des pénuries de matériel médical. Dans un récent article, le journal Bloomberg nous informe que la société américaine Palantir, spécialisée notamment dans la big data, propose ses services pour traiter les données de nos hôpitaux.
Palantir est une société valorisée à près de 20 milliards de dollars, en partie financée par la CIA et sur laquelle la législation américaine a entièrement prise du fait de sa nationalité. Depuis plusieurs années, elle noue des partenariats avec des acteurs stratégiques tels que la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure), des entreprises comme Airbus ou encore Sanofi en même temps qu’elle est liée à l’Etat américain par sa collaboration avec les agences de renseignement et les forces de l’ordre dans la lutte contre le terrorisme.
Son partenariat avec les hôpitaux français marquerait ainsi une terrible nouvelle à la fois pour notre souveraineté, nos libertés publiques et le secret médical. Malgré l’existence de solides entreprises françaises (Orange, Thalès, Atos, Thales, Bloom, ChapsVision, Cap Gemini, … - la plupart issues du « Cluster data Intelligence mené par le GICAT, Groupement des Industries Françaises de Défense et de Sécurité Terrestres et Aéroterrestres) en matière d’exploitation des données, l’Etat persévère dans sa dépendance aux technologies numériques américaines. Lors de la commission d’enquête du Sénat consacrée à la souveraineté numérique en octobre 2019, Guillaume Poupar, Directeur général de l'ANSSI, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, déclarait justement que « ceux qui dirigeront le monde demain sont ceux qui seront capables de posséder les données et de savoir comment les traiter. Renoncer au traitement des données nous condamne à être des vassaux ».
On s’étonne alors des propos des décideurs français et européens qui, à l’exemple d’Emmanuel Macron le 31 mars dernier, proclament la nécessité de « rebâtir notre souveraineté française et européenne » après une crise sanitaire qui aura montré une absence totale de coopération de la part de l’Union européenne. Quelle hypocrisie quand on sait à quel point la France et l’Union européenne refusent toute idée de puissance, seul choix politique capable de relever les défis géostratégiques et géoéconomiques du XXIème siècle… Mais comment peut-il en être autrement quand nous sommes incapables, par manque de volonté et d’ambition, de lutter à armes égales depuis déjà plusieurs décennies contre les mastodontes américain et chinois ?
Le retard accumulé commence à peser mais il n’est pas trop tard pour revoir notre vision de l’indépendance afin de l’adapter aux enjeux de demain. Face au mutisme français et européen en la matière, il est temps d’engager un nouveau rapport de force en renouant avec une véritable politique de souveraineté fondée sur la sauvegarde et le développement de nos intérêts vitaux. Il en va de la survie des nations européennes face aux deux autres puissances mondiales que sont les Etats-Unis et la Chine.