Terrorisme : on n'a rien fait tant qu'on n'a pas tout fait

Philippe Franceschi

Tribune libre

24 avril 2018

Tribune de Philippe Franceschi

On n’a rien donné tant que l'on n’a pas tout donné écrivait Georges Guynemer. Cette maxime doit s'appliquer à notre politique de lutte contre le terrorisme islamiste, qui doit être plus efficace et préventive. La guerre que nous a déclaré l'islam radical utilise un terrorisme de masse et durable. Il nous faut de l'anticipation, être capable de pressentir l'ennemi de demain et revoir notre posture à l'offensive. Le danger vient aujourd'hui plus de nos banlieues et quartiers de non-droit que de l’étranger, sans qu'il faille sous-estimer un retour possible d'un djihadisme nomade. Il nous faut clairement désigner l’ennemi intérieur, les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans dont sont issus les terroristes. Une plus grande efficience des moyens et des structures en place doit être recherchée. En l’absence de mesures sérieuses, notre système se renforce moins vite que la menace ne progresse. En voici quelques-unes qui pourraient être préconisées.

Création d'un parquet antiterroriste et d'un pôle national consacré à la lutte antiterroriste

L'augmentation du volume des affaires judiciaires, leur complexité et leur lien avec l'action des services de renseignement spécialisés du premier cercle, nécessite la création d'un parquet national spécialisé en lieu et place du parquet de Paris. Il devra être suffisamment étoffé et intégré dans un pôle national consacré à la lutte antiterroriste, coordonnant les principaux services de l’État en charge de cette mission. Les magistrats spécialisés doivent pouvoir entrer dans la « boucle» du renseignement et inversement les services de renseignement entrer dans l'information détenue par les services judiciaires. Actuellement, le magistrat instructeur n’a pas le droit de connaître les autres affaires qui sont suivies par le renseignement. Il n'y a pas de centre de commandement ou de centre d’analyse. Est-ce seulement l’affaire des services de renseignement ou aussi celle du parquet ? Il n'existe pas de direction du terrorisme. À aucun moment, les affaires n’ont été interconnectées ni dans leurs faiblesses ni dans leurs manquements et c’est particulièrement criant après l’affaire Merah.

Une meilleure coordination renseignement/justice

Lors de l'audition des victimes des attentats du 13 novembre et de leurs avocats,  par la Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, certaines défaillances ou négligences des services de renseignement et de l'institution judiciaire ont été évoquées à juste titre :

  • Liens établis entre les membres de la branche « Artigat » de l'Ariège, déjà constitués en réseau et non en loups solitaires (Mohamed Mehra) et les frères Klein ayant revendiqué les attentats du 13 novembre 2015, au nom de Daesh,
  • Manque de coordination entre les Magistrats et les services de renseignement. A la suite des attentats commis par Mohamed Merah, les services de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) se sont précipités chez le procureur de la République de Paris pour porter à la connaissance de l’autorité judiciaire vingt procédures afin de savoir s’il était nécessaire de les judiciariser .

Il semble tout de même évident que nous souffrons d'un manque de coordination globale justice/police, d'analyse globale et préventive, de rapidité de réaction, donc d'efficacité.

La question se pose aussi de la pertinence de la séparation des données existantes entre le renseignement et le judiciaire, dès lors qu’il s’agit d'analyser les métadonnées et de les croiser. Américains et Britanniques, notamment, les rassemblent à des fins opérationnelles alors que notre loi ne le permet pas. Cela est dommageable à l’action d’anticipation dit Patrick Calvart, Directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), dans son audition par la commission d'enquête parlementaire citée ci-dessus.

En octobre 2016, le général Lizurey, Directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), auditionné par la commission des lois de l'assemblée nationale au Sénat, déclarait que c’est aussi une affaire de moyens juridiques. « Nous disposons d’un certain nombre de bases de données et de fichiers qui comportent beaucoup de renseignements. Face à la menace exceptionnelle, à cet état de guerre cité par le Premier ministre, il faut se poser la question de leur interconnexion. Il ne s’agit pas, bien sûr, de faire n’importe quoi ; le système doit être contrôlé, vérifié, pour ne pas être détourné de sa finalité, mais cela permettrait de faire progresser, à moyens constants, la lutte contre le terrorisme ».

Mettre fin aux autres failles judiciaires persistantes

Les auditions de la commission d'enquête parlementaire et en particulier celles des directeurs de nos services de renseignement, DGSI, DGSE et DRM, n'ont rien changé. Les lacunes judiciaires qui y sont évoquées n'ont pas été comblées. Elles concernent principalement la trop grande séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire.

- Lorsqu’un individu qui fait l’objet d’interceptions de sécurité administratives (écoutes) par les services de renseignement est mis en examen par la Justice, ses écoutes deviennent judiciaires et seuls les services judiciaires sont alors habilités à en connaître le contenu, secret de l’instruction et respect des droits de la défense obligent. Aucune technique de renseignement ne peut plus être mise en œuvre. Cet « angle mort », comme le nomme Patrick Calvart, n’a pas été pris en considération, ni dans le cadre de la loi Renseignement, ni dans celui de l’état d’urgence. Un  exemple, celui de Karim Cheurfi, le terroriste meurtrier d'un policier lors de l'attentat des Champs-Élysées du 20 avril 2017, qui faisait alors l'objet d'une enquête pour entreprise terroriste individuelle.

 - Autre faille, cette fois-ci concernant les saisies judiciaires lors de perquisitions (téléphone portable, ordinateur, etc.) qui seraient très utiles aux services de renseignement. Le Code de procédure pénale et le secret de l’instruction empêchent que ces objets puissent leur être remis, pour la même raison de séparation des pouvoirs. C'est Bernard Bajolet, le Directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), qui évoque cette problématique. Dans certains pays de droit européen et outre-Atlantique, les juges autorisent qu’une copie des contenus leur soit remise, question de bon sens et d’efficacité. Eh bien, toujours pas chez nous ! Georges Fenech, le président de la commission d’enquête avait promis de s’intéresser à cette question, mais rien ne figure dans ses propositions finales.

Rénover les structures du renseignement territorial

Notre dispositif de renseignement territorial souffre encore de cloisonnement et d’une trop grande centralisation. On ne peut pas parler véritablement d'empilement des structures, mais plutôt d'horizontalité manquant encore de coordination, malgré les progrès déjà réalisés. Il est grand temps de repenser l’organisation Police/Gendarmerie afin de rechercher une plus grande efficacité dans ce domaine qui devient essentiel contre le terrorisme endogène.

La gendarmerie n'a pas réussi à trouver toute sa place au sein du renseignement territorial chargé de détecter les signaux faibles de radicalisation. Le DGGN déclarait aussi le 18 octobre 2016 devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale « il faut aujourd’hui développer un état d’esprit particulier consistant à passer du besoin d’en connaître au devoir de partager. Je ne dis pas que tout doit être mis sur la table mais il faut changer de culture dans le renseignement : le service localement compétent doit savoir quelles menaces sont présentes chez lui, alors que ce n’est pas toujours le cas actuellement. Il arrive en effet que des services découvrent, après un événement ou une opération, que des personnes dangereuses étaient présentes dans leur secteur ».

Si la DGSI et la DGSE doivent conserver la responsabilité de la surveillance du haut du spectre, celle de milliers d'autres radicalisés est déjà confiée à la Direction centrale du renseignement territorial rattachée à la Police nationale, ainsi qu'à la Gendarmerie. La situation pourrait être largement améliorée en ce qui concerne la détection et le suivi des personnes radicalisées en confiant à la gendarmerie une chaîne complète et autonome, distincte de celle de la police. En effet, la gendarmerie est seule présente sur 95% du territoire national avec ses 3100 brigades territoriales qui n'ont pas encore donné tout leur potentiel. Cela n'empêcherait nullement, bien au contraire, un échange sain entre les services locaux dans le cadre des cellules départementales des préfectures.

La synthèse du renseignement territorial pourrait s'effectuer au sein d'une Direction générale du renseignement territorial (DGRT) à créer, rattachée au ministre de l'Intérieur comme la DGSI, où seraient représentées les deux directions, Gendarmerie et Police.

Mais c’est aussi la grille des critères de dangerosité qui n’est plus adaptée. Il est nécessaire de revoir notre système de détection des comportements à risque et améliorer la connaissance de l’islam par les services de renseignement où elle est insuffisante. C'est une action pluridisciplinaire.

Instaurer la perte ou la déchéance de la nationalité française pour des faits de terrorisme

Le code civil prévoit la « perte » de la nationalité française pour les binationaux nés en France (art 23) et la « déchéance » de nationalité pour les binationaux naturalisés français de moins de dix ans (art 25). Le Conseil constitutionnel a déjà considéré que l'art 25 était applicable aux condamnations pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme par décision n° 2014-439 QPC en date du 23 janvier 2015 - M. Ahmed S. L'article 23 n'est, lui, pas assez précis sur le sujet. Des propositions de loi relatives à la perte de la nationalité ont été rejetées à deux reprises en novembre 2014 et février 2015 par la commission des lois de l'Assemblée nationale, malgré l'engagement du président de la République devant le congrès réuni à Versailles. Il convient de remettre le métier sur l'ouvrage.

L’efficacité de la perte de la nationalité pour les binationaux se justifie si elle intervient avant que celui qui la subit ne passe à l'acte et non si elle intervient après une condamnation pour des actes à caractère terroriste. Prise dès la connaissance d'un départ pour le djihad, elle rendrait ainsi plus difficiles le retour et le maintien sur notre territoire. Pour permettre une expulsion dans le cas d'une radicalisation endogène sans départ pour le djihad, cette perte de la nationalité doit être élargie aux comportements salafistes contraires à nos lois et à nos valeurs (haine des juifs et des chrétiens, actes antisémites, anti-chrétiens, non-respect de la laïcité, non-respect de l'égalité entre les hommes et les femmes, appel au meurtre de mécréants, apologie du djihad et du terrorisme, etc.) afin de pouvoir judiciariser les comportements des personnes ciblées, fichés « S » ou non.

Nous ne sommes donc pas démunis. Confrontée à la menace anarchiste de la fin du XIXe siècle, la Troisième République avait réagi de manière extrêmement énergique en décrétant et en faisant appliquer des lois qualifiées de « scélérates » par ceux qui en furent, à juste titre, les victimes  qui ont été la clé de son succès. Plusieurs propositions sont envisageables : 

  • Instaurer la perte de la nationalité française pour les binationaux partis pour le djihad, par décret en conseil des ministres après avis simple du Conseil d’État,
  • Instaurer la perte ou la déchéance de la nationalité par le tribunal spécialisé compétent comme peine complémentaire d'actes en lien avec le terrorisme ou de comportements salafistes,
  • Rétablissement de la double peine pour les étrangers délinquants, le lien entre délinquance et terrorisme étant maintenant bien établi, avec une expulsion immédiate,
  • Mise en œuvre de l'article 411-4 du Code pénal qui concerne l'intelligence avec l'ennemi
  • Instaurer le crime d'indignité nationale de 30 ans pour les nationaux coupables d'actes en lien avec le terrorisme, avec la peine de dégradation nationale.
  • Expulsion des étrangers fichés « S ».

Isoler les détenus condamnés pour faits de terrorisme islamiste ou radicalisés 

Toutes les tentatives afin d'empêcher le salafisme de se répandre en milieu pénitentiaire ont échoué, que ce soient les unités « dédiées » ou les quartiers d'évaluation de la radicalisation. On ne sait pas et on ne peut pas évaluer un niveau de radicalisation et les expériences de dé-radicalisation ont toutes échoué aussi. Dans ces conditions la solution raisonnable est de rassembler dans une seule maison centrale spécifique, tous les détenus concernés. 

Remettre sur le métier la réflexion sur la rétention judiciaire

Larossi Aballa, l'assassin des policiers de ‪Magnanville en 2016, avait déjà été jugé et condamné par la Justice française en septembre 2013 pour avoir organisé une filière djihadiste vers le Pakistan. Condamné à trois ans de prison, dont six mois avec sursis, il est libéré à l’issue du procès ayant effectué l’intégralité de sa peine en détention provisoire. Le juge Marc Trévidic, qui l’avait mis en examen dans cette affaire, parle d’un homme "comme il en pullule dans les dossiers islamistes, imprévisible, dissimulateur". Il n'y a plus actuellement de débat national sur le sujet de la rétention judiciaire, qui permettrait de ne pas libérer un individu tant qu'il est considéré comme dangereux. La moyenne des condamnations variant entre cinq à sept ans, plusieurs centaines de djihadistes ou candidats au djihad sont concernés dans les prochaines années, sans compter les centaines actuellement en zone de combat chez l'EI et qui rentreraient.

Information des maires sur les individus à risque résidents sur leur commune

De plus en plus de maires réclament d'être informés de la présence d'individus fichés « S »  résidents sur leur commune en arguant de leur pouvoir de police. Cette revendication ne sera pas acceptée par le ministère de l'Intérieur pour des raisons liées à la nature de ces fiches « S », outil de travail pour les services de renseignement. Par contre, bien plus intéressante me semble être la possibilité offerte par le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes  (FIJAIT), mis en service le 01 juillet 2016 dans la plus grande discrétion. Ce fichier est nominatif et concerne les infractions terroristes (articles 421-1 à 421-6 du Code pénal) ainsi que les mis en examen sur initiative du juge d'instruction. Les personnes inscrites au FIJAIT sont soumises à diverses obligations : justification trimestrielle d'adresse, déclaration de changement d'adresse dans les 15 jours, déclaration de déplacement à l'étranger dans les 15 jours précédant le voyage, information préalable lors de déplacement en France pour toute personne inscrite demeurant à l'étranger. Les informations sont accessibles aux autorités judiciaires, aux OPJ habilités et aux représentants de l’État. Toutefois, les maires et les présidents des collectivités territoriales et des groupements de collectivités territoriales sont également destinataires, par l'intermédiaire des représentants de l’État dans le département, des informations contenues dans le fichier pour les décisions administratives de recrutement, d'affectation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation.

Plusieurs centaines d'individus sont sortis de prisons ou sortiront dans les années à venir avec un risque important de récidive d'actes terroristes, compte tenu de l'inefficacité de toute tentative de dé-radicalisation et de l'absence de dispositif de rétention judiciaire. Les services de police et de gendarmerie sont informés de leur implantation. Il me paraît anormal que les services de police municipale ne le soient pas. Je propose de modifier l'art 706-25-9 du Code de procédure pénal, afin d'y inclure une information du maire par le préfet, lors de l'implantation ou le déménagement d'auteurs d'infraction terroriste dans leur commune, en arguant de leur qualité d'OPJ et de leur pouvoir de police.

Aujourd'hui, les Français radicalisés directement sur notre sol ou qui décideraient de partir pour le djihad et combattre contre la France se mettent eux-mêmes d'office en dehors de la communauté nationale, engagent leur responsabilité individuelle et doivent en subir les conséquences. C'est le principe de précaution « terroriste » qui doit s’appliquer sans état d’âme de la part de la puissance publique.

Philippe Franceschi

Tribune libre

24 avril 2018

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