Tribune libre de Dominique Bilde, Député français au Parlement européen
“Recoudre cette blessure ouverte”, c’est par cette introduction larmoyante que le député socialiste slovène Tanja Fajon a fait avaler ce jeudi une énième couleuvre immigrationniste aux États membres de l’Union européenne.[1] La manœuvre est habile, puisque le vote des sanctions contre la Hongrie de Viktor Orban et de la réforme des droits d’auteur détournaient opportunément l’attention de la libéralisation des visas avec le Kosovo, dont les conséquences pourraient pourtant être dramatiques.
Il est vrai que la remise au goût du jour de ce serpent de mer n’est pas une surprise. Il n’est en effet que la suite logique de la levée des visas en faveur de la Macédoine, du Monténégro et de la Serbie en 2009, puis de l’Albanie et de la Bosnie-Herzégovine l’année suivante. Le Kosovo, qui ronge son frein depuis 2012, aura quant à lui accompli la dernière formalité exigée pour obtenir le précieux sésame le 21 mars dernier en réglant définitivement son litige frontalier avec le Monténégro[2].
Il n’en s’agit pas moins d’une bombe à retardement pour l’ensemble des Européens, qui voient céder les dernières digues protectrices face cet État failli au cœur des trafics en tout genre. Trafic de migrants, d’abord, puisque ces derniers continuent d’affluer dans la région en dépit de la fermeture de la route des Balkans en 2016[3][4]. Sans compter l’immigration locale en provenance d’un pays gangrené par un chômage record de 30 % (60 % pour les jeunes) et dont presque 15 % du PIB proviennent des subsides envoyés par les émigrés à leurs familles restées au pays[5]. L’Allemagne d’Angela Merkel en a d’ailleurs fait l’amère expérience avec l’explosion dès 2015 des demandes d’asile kosovares[6].
Quant au trafic d’armes, le Pôle interministériel contre la criminalité organisée en Europe du Sud-Est pointait déjà du doigt en 2013 la responsabilité du Kosovo dans l’engouement des banlieues françaises pour les kalachnikovs. Au début des années 2000, on estimait ainsi « entre 330 000 et 460 000 le nombre d'armes détenues illégalement au Kosovo » dont la population n’atteint même pas les deux millions d’habitants.[7] Les accusations de trafic d’organes hantent quant à elles les autorités kosovares et émaillent régulièrement l’actualité internationale, à l’instar du scandale « Medicus » du nom d’une clinique voyou extorquant des organes dans des conditions sordides à quelques indigents, aveuglés par la promesse d’une rémunération de 15 000 euros.[8]
Le spectre islamiste n’est enfin jamais loin dans ce pays très majoritairement musulman, où prospère le wahhabisme importé d’Arabie saoudite[9] et où l’État islamique semble également avoir trouvé un terreau fertile.[10]
Enfin, en imposant la reconnaissance du Kosovo comme condition sine qua non d’une éventuelle adhésion serbe à l’Union européenne, Bruxelles porte une lourde responsabilité dans l’escalade verbale entre Belgrade et son ancienne province, enclenchée depuis l’arrestation manu militari du haut responsable serbe Marko Djuric à Mitrovica, le 26 mars. Le 7 septembre, la Haute Représentante de l’Union européenne Federica Mogherini avait d’ailleurs dû s’entretenir séparément avec les dirigeants des deux États[11] - un piteux dénouement pour ce qui avait été brandi comme le sommet de la réconciliation.
Bref, entre aveuglement et idéologie, Bruxelles risque dans son projet d’élargissement à marche forcée de mettre à nouveau le feu à la poudrière des Balkans.
[1] Rapport : Liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visa pour franchir les frontières extérieures et de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation (Kosovo), A8-0261/2016, approuvé le jeudi 13 septembre 2018.
[2] https://www.euractiv.fr/section/avenir-de-l-ue/news/le-kosovo-ratifie-son-accord-frontalier-avec-le-montenegro/
[3] https://www.europol.europa.eu/newsroom/news/300-migrants-smuggled-month-slovenia-and-kosovo-apprehend-major-organised-crime-group-in-balkans
[4] https://www.mondialisation.ca/ue-lintegration-des-balkans-une-menace-a-la-securite-europeenne/5610167
[5] Harvard International Review. Summer2018, Vol. 39 Issue 3, p11-13. 3p
[6] https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/europe/kosovo/11426805/Exodus-from-Kosovo-Why-thousands-have-left-the-Balkans.html
[7] https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-dossiers/2013-Dossiers/Les-Balkans-principale-filiere-du-trafic-d-armes-vers-la-France
[8] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/clinique-medicus-et-trafic-d-organes-au-kosovo-le-principal-suspect-arrete_119660
[9] https://www.nytimes.com/2016/05/22/world/europe/how-the-saudis-turned-kosovo-into-fertile-ground-for-isis.html
[10] https://www.express.co.uk/news/world/1005898/parents-children-isis-terrorism-training-camps-kosovo-world-news
[11] https://www.euractiv.com/section/enlargement/news/serbias-vucic-says-long-road-ahead-in-talks-with-kosovo/