Le ministre de la Justice bientôt… jugé !

Jean-Paul Garraud

Tribune libre

05 octobre 2022

Tribune de Jean-Paul GARRAUD

Député français et Président de la délégation du RN au Parlement européen

Magistrat et Président de l’Association Professionnelle des Magistrats

 

Après la décision de la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République (C.J.R.) de renvoyer le prévenu Éric Dupond-Moretti devant la formation de jugement de cette même Cour pour « prise illégale d’intérêt », le maintien à son poste de l’actuel garde des Sceaux fait, plus que jamais, figure d’inacceptable et d’insulte à la plus élémentaire morale civique.

 

Ce n’est pas la présomption d’innocence qui est ici en cause : comme tout autre prévenu ou accusé, le ministre en bénéficiera tant qu’il n’aura pas été définitivement condamné ; mais, c’est là une situation tout à fait inédite et aberrante, car il ne s’agit pas ici d’un prévenu comme les autres : non seulement, déjà, parce qu’il est membre du Gouvernement, c’est-à-dire du pouvoir exécutif et qu’il va appartenir au pouvoir judiciaire de statuer sur son cas, mais, plus encore, parce qu’il ne s’agit pas de n’importe quel ministre, puisque c’est celui qui a la charge de la Justice.

 

Par rapport à la règle fondamentale et constitutionnelle de la séparation des pouvoirs, il y a là une évidente anomalie, avec cette confusion des rôles et des positions institutionnelles qui est grosse de toutes sortes d’effets pervers, au détriment tant du crédit de l’exécutif que de celui de l’autorité judiciaire.

 

D’autant plus que les faits qui sont reprochés à l’ancien avocat touchent à ses rapports conflictuels avec des magistrats : il est ainsi accusé d’avoir profité de ses fonctions ministérielles, dès son arrivée place Vendôme, pour régler des comptes personnels et professionnels, en cherchant, par l’engagement de procédures disciplinaires, à discréditer et pénaliser des magistrats avec lesquels il avait pu avoir maille à partir ; lesquelles procédures ont tourné au fiasco, avec le piteux abandon de la plupart des poursuites par l’accusation, quand une relaxe définitive n’a pas, d’ores et déjà, même, été prononcée…

 

En sorte que, en étant resté, depuis le début de la procédure devant la C.J.R. à son poste ministériel (ou en ayant été maintenu à celui-ci par la volonté du président de la République), M. Dupond-Moretti s’est trouvé et se trouve plus que jamais en situation objective de conflit d’intérêts : son intérêt personnel et politique de prévenu est de combattre ses juges et d’éviter à tout prix une condamnation, tandis que son devoir de ministre est de permettre à la Justice de fonctionner en toute indépendance et en toute sérénité.

 

Et, qui plus est, alors qu’il s’agit de quelqu’un qui dans sa carrière d’avocat comme de ministre n’a cessé, par son agressivité à l’égard du corps des magistrats, de se mettre en position conflictuelle avec eux, tant collectivement qu’individuellement, ce qui faisait de sa nomination une espèce de provocation.

 

Un récent article du Monde, le 1er octobre, outre la révélation du contenu absolument accablant du réquisitoire du Procureur général, évoquait nombre d’incidents que l’avocat avait pu avoir avec divers magistrats (voire ses propres confrères…), témoignant de son mépris des personnes comme de l’institution qu’elles représentent, jusqu’aux propos les plus grossiers…

Il est de fait qu’il avait fait de l’invective et de la prise à partie des magistrats une sorte de système.

 

Le même article, au passage, mentionnait des pratiques singulières, comme la remise d’honoraires en espèces sur aire d’autoroute, annexe peu habituelle d’un cabinet d’avocat.

 

Il en résulte que, quelle que soit la décision que peuvent et pourront prendre les magistrats à son égard, elle ne peut qu’être exposée à la polémique et à l’interprétation politique : et, c’est bien, manifestement, ce que cherche le ministre, qui, par ses propos devant ses juges lors de l’instruction, et, depuis son renvoi, ceux de son avocat : détourner l’attention du débat sur les faits qui lui sont reprochés pour plaider le procès politique, et, faire accroire aux jurés de l’opinion publique que ses juges ne voudraient que « mettre en cause sa légitimité », celle qu’il tient « du président de la République et de la Première ministre » (manière aussi de faire pression sur ces derniers : c’est leur dire, en somme, « nos sorts sont liés…).

 

C’est là une attitude irresponsable, parfaitement indigne, dans un État de droit, de celui qui a l’honneur insigne d’être à la tête du seul ministère qui a le nom d’une vertu.

 

Tous ceux qui sont, si peu que ce soit, attachés aux valeurs démocratiques, devraient, de tous les bords de la classe politique, se dresser pour imposer qu’il y soit mis fin sans délai : renvoyé devant ses juges, le ministre de la Justice doit, aussi, être renvoyé à un statut de justiciable comme les autres.

 

 

Jean-Paul Garraud

Tribune libre

05 octobre 2022

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